quarta-feira, 24 de novembro de 2010

Inception - Nolan - 2010

Piera : Je suis pour qu'on coupe le sifflet à Hans Zimmer, la main droite à Hellen Page, mais qu'on décerne quelque chose à Nolan. Merde, son film est bon quand même, et la distrib a un charme dont il ne se cache pas de jouer (tu crois qu'il est fait exprès le plan ou Page a l'air enceinte ?)

Inception - Comment prouver la réalité ?


Il joue avec une intelligence extraordinaire des dernières productions du système hollywoodien. C'est pour ça que le film est compréhensible d'ailleurs, à cause de tout les repères : les multiples trames complètement évidentes, les multiples scènes incontournables, le fait qu'on connaisse déjà les acteurs... et pourtant, c'est un film qui restera je pense, parce qu'il arrive à en faire quelque chose au-delà de tout ça. En même temps, ça reste du coup très artificiel, tu saisis ? il joue avec les codes, ça met les codes en évidences, forcément, et toute la machinerie repose encore là dessus. Quand il arrivera à se secouer de tout ça, il fera un film génial ou nullissime !
Mais c'est vrai que c'est un bon quand même. Et je me dis que le petit DiCapprio il est pas mal dans le genre aussi. Il fait vraiment des bons films, et il a des personnages qui se répondent mais avec des dissonances à chaque fois...
Qu'est-ce que tu en penses ?

Silence. Le spectateur 2 réfléchi.

Piera : Dis... j'ai un doute là, un truc que j'ai pas compris dans le film : pourquoi est-ce que DiCapprio et la Môme ils sont jeunes quand ils se tuent dans le monde dans lequel ils sont bloqués, puisqu'ils y deviennent vieux ? j'ai du zapper une étape, mais à cause du portugais j'ai pas trop compris les histoires de limbes éternelles bloquées dans le subconscient blabla (genre, ils se retrouvent là parce qu'ils savent plus ce qu'est la réalité right ? et ils peuvent pas en sortir, du coup DiCapprio implante l'idée que c'est pas la réalité pour que sa femme trouve ça chouette et construise ce monde, et ils y deviennent vieux - mais ils se prennent aussi le train dans la gueule quand ils sont jeunes, parce que l'idée que c'est pas la réalité c'est aussi pour qu'ils sortent de ce monde - je comprends plus bleubleubleu. Faut que j'y retourne peut-être. Peut-être que c'est le but aussi : ou comment faire un film culte)

Nico : En fait, pour Inception, il me semblait que Di Caprio et Marion Cotillard étaient devenus vieux quand ils se tuaient dans les limbes. Je les revois croulant sur le poids des années et revenant jeunes dans leur univers. En même temps s'ils étaient vieux et qu'ils reviennent jeunes sa femme devrait se rendre compte qu'ils rêvaient et que ce n'était donc pas la réalité. Et donc ne pas se tuer !
Mais même si on les voit vieux dans un plan, au moment du train ils me semblent aussi qu'ils sont jeunes et j'avoue ça ne m'avait pas choqué. Pourquoi ? Bonne question... 
Au final, que tu aies raison ou que j'ai raison, soit il y a une erreur quelque part, soit on devrait y retourner pour voir s'il n'y a pas une solution à nos explications.
On peut aussi s'amuser à voir ce qu'on veut pour trouver des solutions à des erreurs grotesques du genre : ils rêvent donc ils peuvent avoir l'âge qu'ils veulent ; ou c'est une projection mentale du monde réel dans lequel ils vont apparaitre ; ou c'est l'idée qu'on se fait d'eux alors qu'ils sont jeunes car en tant que spectateurs pris dans un film mais hors de leurs rêves nous pouvons avoir des perceptions différentes d'eux et qui se superposent les unes aux autres sans que l'une ou l'autre ne paraissent plus ou moins réelles.
Mais je vais loin. Mais c'est tellement plus drôle que de se dire qu'il y a une erreur.
A propos des codes, je suis tout à fait d'accord.
Le film fonctionne car il joue sur les codes du genre à fond, reprenant toutes les scènes et toutes les idées types de ce genre de film. La séquence finale est éclairante là dessus. On en pouvait pas s'attendre à autre chose que l'éternelle question : sont-ils dans un rêve ou dans la réalité ? Ceux qui critiquent ce final l'auraient également critiqué s'il avait pris position de toute manière et il est, à mon avis, beaucoup plus intéressant de laisser un flou total et une dose de mystère lorsqu'on aborde la question du réel et du rêve, ou du virtuel et de l'actuel de cette manière là.
Idem pour eXistenZ ou pour Avalon ou pour Dark City ou pour Le Monde sur le fil de Fassbinder (mais je ne dévoile rien en te disant ça). Et c'est pour ça que Matrix, malgré toutes ses qualités (et j'aime beaucoup le premier), a moins de profondeur qu'Inception ou les précédents.
A dire que les individus vivent dans une Matrice mais que le réel existe dans une strate supérieure, et surtout montrer celle-ci en la qualifiant d'indépassable, c'est rendre le réel concret et aboutir à une sorte d'impasse. Certains diront un athéisme (en tant qu'absence totale de foi et non en tant qu'absence de religion car l'athéisme en tant que doctrine n'a que peu à voir avec la religion : croire au père noël ou au petit prince c'est déjà ne pas être athée sans pourtant appartenir une religion quelconque). C'est sûrement vrai.
Quand on connait le réel, on ne peut plus croire en rien puisque la foi repose sur une idée intangible, un monde au-delà. Si on peut atteindre celui-ci et qu'il n'y a plus d'au-delà plus élevé encore c'est que la Matrice est juste une hypocrisie pour imposer une croyance profondément humaine. Et c'est surtout dommage dans un sens car ça enlève une part de rêve...
Lorsque les strates se mêlent et qu'il est difficile de les démêler, de savoir exactement où l'on est, on se retrouve dans un monde beaucoup moins humain et plus intéressant. Une autre manière de voir ces mondes se croiser se trouve dans un autre film où Marion Cotillard sert de bouche-trou : Big Fish de Tim Burton avec toutes ses histoires incroyables qui défient toute réalité.
En fait tout ceci est très hollywoodien, et ça fonctionne !
A propos d'Inception, je me souviens d'un article d'une revue US dont j'ai oublié le nom qui s'exclamait que personne n'irait voir ce film car il serait trop difficile à comprendre pour un spectateur lambda. Mais, au contraire, le spectateur type, même sans le savoir, a tout de suite dû reconnaitre les mécanismes du film (surtout avec Di Caprio) et il a adhéré. Beaucoup plus que pour un film de Lynch, envoutant mais incompréhensible au premier abord car il ne joue pas du tout sur le même registre. Lynch est dans son monde, à la fois au dedans et en dehors d'Hollywood.
Je trouve vraiment le film de Nolan réussi. Mais, pour esquisser une réponse à ton : "Quand il arrivera à se secouer de tout ça, il fera un film génial ou nullissime !" je dirais qu'il l'a fait. Avec Memento, son premier film. Je suis l'un des rares dans ce cas (donc à voir par toi même) mais je le trouve nullissime... Quand j'ai vu qu'il allait faire Batman j'ai eu peur mais au final j'adore ses films... sauf son premier ! Peut-être à cause du Noir et Blanc très moche aussi. Et d'autres choses.

Piera : Mémento m'a pas déplu, mais même impression que pour Inception : habileté, intérêt extrême, admiration devant la prouesse, mais déception face à l'attendu. ça me fait réfléchir (oua, qu'est-ce que ne permet pas le cinéma, quelles implications par rapport à la mémoire...), mais ça me plaît pas, comme pourrait me plaire... je sais pas moi, The roaring 20s vu avant-hier, ou Prima della rivoluzione auquel j'ai rien compris à cause des sous-titre portugais sur italien véloce.
Le final de Inception est riche, mais le dos de Di Capprio dans le Scorsese provoque bien plus de questionnements angoissés. Idem pour Le faux coupable. La qualité d'un film ne se mesure pas au nombre de cauchemars qu'il provoque, certes, mais la question que pose Nolan c'est : être dans la réalité ou dans le rêve, ou dans la réalité du rêve - une question vieille comme le monde -, mais pour moi c'est la question que tout bon film a pas besoin de poser puisqu'elle est là au moment où tu clignes des yeux à la fin du générique (le problème majeur étant, pour le Nolan, que tu clignes pas des yeux d'un air hébété, mais que tu maudis Zimmer en ton fort intérieur, ce qui est une brutale projection hors du film - pour ne pas dire retour à la réalité). Alors c'est intéressant de rendre ça évident, mais encore une fois, y a pas le petit plus qui fait que c'est plus qu'un bon film bien ficelé.
(Et le rapport avec Shutter Island n'est pas si innocent, un DiCapprio mal en point naufragé, c'est pas si loin d'un DiCapprio mal en point qui a le mal de mer. De là à penser qu'il est passé directement de l'un à l'autre via des limbes filmiques...)

Nico : Je suis d'accord pour le final de Shutter Island. Mais plus encore que le dos de Di Caprio, pour moi ce sont ses pas qui me hantent. Et les questionnements angoissés restent en suspend tant que je n'aurai pas revu le film. Et le dos du colonel qu'il voit par un effet de transparence est également énigmatique. Je reste persuadé que c'est un fantasme, voire une fantasmagorie (comme dans le cinéma d'animation sauf que ce n'est pas encore de l'animation) une hallucination, une création mentale.

Shutter - Une allumette craquée.
Comme un flash dans Aviator ou un corps qui chute dans The Departed (vous n'avez pas sursauté vous ?)


Et finalement, comme dirait Calderon, le film est un songe. Et non, je ne fais aucun anachronisme parce que de toute façon ce que le cinéma nous apprend c'est que le temps est illusoire, tout comme l'espace. Je pense vraiment que Shutter Island est encore le film de l'année.
Et quand on voit Mulholland Drive, Lost Highway ou Inland Empire, on peut se demander si la qualité d'un film ne se mesure pas au nombre de cauchemars qu'il provoque. Si ce n'est pas au nombre c'est à sa capacité de le garder vivant pendant un laps de temps de plus en plus grand et de le transformer à volonté pour perdre le spectateur dans son propre esprit et lui faire créer son propre monde claustrophobique, son propre univers d'angoisse et son propre cauchemar à partir d'un ensemble d'images, de plans, de séquences, de mouvements, de sons donnés.
Avec Lynch on est nulle part en fait. Sauf dans nos angoisses sourdes et dans des mondes à la fois possible et impossibles, inversés, incompréhensibles raisonnablement mais dont on a l'intuition et qui nous paralysent. J'en ai refais l'expérience une fois de plus ces derniers jours.
Je pense vraiment qu'Inception est le Lynch du pauvre. Ou du spectateur lambda qui a besoin de références pour se sortir des ténèbres dans lequel il a été plongé pour mieux remonter en se posant encore des questions à la fin. Le cinéma doit amener son public à réfléchir. Sur lui-même (spectateur) ou sur lui-même (cinéma). Il faut commencer par Inception. Mais il ne faut pas en rester là et il faut accepter de ne pas remonter de ses cauchemars et d'y être plongé pour l'éternité (comme un vrai cinéphile).
Inception est riche. Inception est bon. Inception fait rêver et fait peur. Inception bénéficie de prouesses scénaristiques intéressantes et d'effets visuels magnifiques en plus d'un jeu d'acteur très bon tout en restant classique et attendu par rapport aux acteurs du film. Mais inception est incomplet car il rassure le spectateur et le ramène dans son monde malgré l'interrogation qui va le faire discuter pendant quelques heures mais sans trop d'angoisse.
Je ne maudis pas autant Zimmer que toi mais je suis tout à fait d'accord avec l'expression maniérisme habile pour qualifier Nolan. Je l'ai trouvé meilleur encore dans ses Batman même si personne ne semble les aimer. Mais Nolan pourrait se définir par rapport à son Prestige : son cinéma c'est d'abord de la prestidigitation, et non de la magie !
La magie c'est Lynch (et Shutter Island dans une autre mesure).