segunda-feira, 12 de dezembro de 2011

Rencontres d'automne - Festival de Gardanne 2011 [eXsitu novembre 2011]


Depuis la passerelle de la gare de Gardanne, panorama sur l'usine ocre d'où semble émaner une odeur douçâtre et sourdre la teinte rouge qui couvre les murs de la ville. Peut-être Banksy aurait-il pu y tracer quelques-uns de ses graf', mais il préfère les réserver aux murs cinématographiques de son docu Faites le mur. Qu'importe : s'il n'était pas à Gardanne, son docu est venu à sa place, et il n'y était pas seul. Les platanes de la rue principale (et unique) de Gardanne n'avaient jamais vu autant d'inconnus se précipiter sur d'innocents kebabs et les engloutir sans même s'informer du résultat du dernier match de l'OM. L'épisodique phénomène (du 21 octobre au 1er novembre 2011) a cependant paru se limiter aux abords directs du cinéma des 3 casino. Est-ce de là qu'ont surgis ces étranges individus aux regards rêveurs ? Ou bien venaient-ils de plus loin, voyageurs immobiles (trans)portés par la programmation très internationale du 23ème festival cinématographique d'automne ? De soirée italienne en hommage au cinéma sud-américain ou iranien, elle est faite d'un panorama de films d'ici et d'ailleurs... 


Curling
La dernière piste
Les couleurs
de la montagne
Prêt à vous geler les doigts en passant le balais devant le palet de Curling de Denis Côté ? Prière de ne pas s'égarer dans les très blanches images de tempêtes de neige, vous risqueriez de tomber sur un tas de cadavres congelés ! Mais vous regretterez l'eau canadienne, aussi gelée soit-elle, lorsque vous devrez traverser le désertique Oregon de 1845 dans La dernière piste. D'autant plus que Michelle Williams en « pilgrim » arpentant les grands espaces de ce qui n'est pas encore les Etats-Unis, mais en a déjà la métaphysique, va vous faire venir l'eau à la bouche. L'errance sans fin du très beau film de Kelly Reichardt n'est pas le seul à remplacer la parole par le corps en mouvement : plus au sud, vous voilà pris en stop par l'argentin Pablo Giorgelli auprès du camionneur de Les Acacias. Il ne sait pas qu'un bébé vous accompagne, car vous étiez déjà passé par le Pérou de Octubre (Diego Vega Vidal), où un gamin braillard avait été déposé devant votre porte – espérons que vous ne mettiez pas autant de mauvaise volonté à constituer une famille que le mutique Clemente. C'est peut-être parce que lors des longs plans silencieux où il apparaît frontalement il est en train de penser aux Vieux chats du chilien Sebastián Silva, et qu'il sait qu'avec la vieillesse surgissent les conflits familiaux. A moins qu'il n'imagine son gamin grandir comme le petit colombien Manuel : à essayer de récupérer son ballon de foot sur un terrain miné, entre les guérilleros et les para des Couleurs de la montagne (Carlos César Arbeláez).

Animal Kingdom
Restons dans l'hémisphère sud pour un petit passage australien du côté d'Animal Kingdom (David Michod), même si la famille de petits truands qui pètent les plombs (et à-peu-près tout ce qu'il y a autour) est loin d'être accueillante. Le rythme haletant de ce thriller vous prépare cependant moyennement à arpenter les plaines de Mongolie avec Les deux chevaux de Gengis Kahn et le risque d'assoupissement est élevé – heureusement que vous rigolez encore de l'image convoquée par le titre. Vous finissez cahin-caha par rejoindre les pourtours de la Méditerranée et à l'arrivée en France c'est les récompenses : le prix du jury jeune va à L'art d'aimer d'Emmanuel Mouret (en salle depuis le 23 novembre), et celui du public à Tous au Larzac de Christian Rouaud (lui aussi visible depuis le 23). Doit-on mettre la différence de ces choix sur le compte des écarts de générations ?

Les platanes gardannais commencent à reprendre de l'assurance, voilà que les cinéphiles s'éparpillent. Que leur restera-t-il, à par des étoiles dans les yeux ? Sans doute le goût des cachous-crottes de chèvres de La pecora nera de l'italien Ascanio Celestini, très fine évocations de l'univers de la folie. Et certainement le visage sans expression de Kati Outinen dans Le Havre : Kaurismaki, grand chouchou du festival, fait entrer un nouveau sujet contemporain (l'immigration) dans son univers coloré et rétro, à la gestuelle poétique. En sortant de ce dernier film, c'est bien les effluves  de la Manche que l'on sent caresser les feuilles des platanes... Voilà de quoi balayer les miasmes de l'usine jusqu'à l'année prochaine !

Le Havre

Shame (Steve McQueen, 2011) [eXsitu novembre 2011]

avec Michael Fassbender, Carey Mulligan

Steve McQueen, après le très salué Hunger, sort en salle son deuxième film. Dans Shame, il profite sans retenu du corps de Michael Fassbender : l'acteur y campe Brandon, un trentenaire new-yorkais et... sex-addict. Quand sa soeur Sissy – une Carey Mulligan sortant tout droit de sa vie pas très rose dans Drive de Nicolas Winding Refn – débarque avec son écharpe rouge au milieu de la routine bien roulée des étreintes anonymes et des films de culs, Brandon débande. Dur.



Le spectateur français qui a regardé l'affiche avant d'entrer dans la salle retrouve, dans le premier plan du film, la main immobile de Brandon à moitié masquée par le drap, déposée indécise à la limite du sexe. Le plan en plongée montre un corps offert, mais dont le drap permet de respecter la pudeur. Ainsi, si la caméra accompagne Brandon, c'est comme témoin discret, ne prétendant pas percer un passé qu'il se refuse à dire et qui semble décider de son besoin d'étreintes sans lendemain. Elle veille sur lui avant qu'il n'ouvre les yeux et demeure immobile après qu'il a quitté son lit, en lui laissant le soin d'ouvrir les rideaux pour faire entrer la lumière dans l'image : la honte qu'il laisse derrière lui – le titre vient s'inscrire à l'endroit même où reposait son corps – ne semble apparaître que parce qu'il l'a permis. Observé, Brandon reste maître d'actions qui échappent à l'image ; jugé, il ne l'est que par les autres personnages du film ; enfermé, il ne l'est pas par le cadre, qu'il déborde sans cesse, mais par l'implacable architecture de la ville – qui ne fait que refléter la névrose dans laquelle il se débat.

Car malgré la situation sociale avantageuse où il se trouve (bon boulot, belle gueule, et célibataire de surcroît), Brandon ne semble parvenir ni à s'extraire des trajets répétitifs dictés par le métro, ni des cadres d'aciers et de verre où il évolue quotidiennement. La répétition dicte son comportement : dans la première séquence, c'est à peine s'il est possible de distinguer l'une de l'autre les deux aventures sexuelles, les deux réveils matinaux, les deux écoutes du répondeur sur laquelle se fait entendre la même voix plaintive. Et lorsqu'il voit un couple s'exhiber en levrette à une porte-fenêtre, il s'empresse de répéter l'expérience. Il n'est pas seulement inapte à vivre un présent continu, mais à vivre un présent tout court, puisque de son propre aveux il aurait préféré être musicien dans les années 1960. La musique, d'ailleurs, lorsqu'elle se fait épique pour accompagner un échange de regards avec une femme inconnue dans le métro, contribue encore une fois à le dissocier d'une réalité quotidienne : là où l'image ne montre que la scène triviale d'un homme qui finit par suivre une femme, la musique introduit un caractère héroïque dont l'on ne sait trop s'il faut rire ou pleurer.

L'irruption de la sœur de Brandon, Sissy, vient perturber ce parfait enchaînement de répétition et de détachement du monde. Dans une séquence magistrale, Brandon balance avec rage sa montagne de porno dont l'accumulation est rendue palpable par les plans précipités. La chanson New-York New-York interprétée avec une lenteur mélancolique par Sissy fait venir aux yeux de Brandon une larme que l'on pourrait espérer salvatrice. Mais pour Brandon « les actions comptent, pas les mots », et le long plan où le frère et la sœur discutent, de dos, tandis que dans profondeur de champ l'enfance prend la forme flouté du dessin animé Félix le chat, n'aboutira qu'à une scission plus profonde. Le désir d'auto-destruction du personnage le conduira d'étreintes en étreintes, hétéro, homosexuelles, ou multiples ; la ville d'abord bleu acier tournera au rouge sang des feux rouges et des éclairages de boîtes interlopes. Il court de droite à gauche dans un plan dont la caméra finira par le laisser filer, en restant arrêté au feu rouge ; il court de gauche à droite pour retourner tout de même vers sa sœur. Lorsqu'il s'arrête, c'est auprès des lugubres morceaux de ponton émergeant encore sur le dock où mirent pied à terre les survivants du Titanic : il a encore la tête hors de l'eau, mais tout juste. Pourtant, on ne saura pas si la répétition à la fin du film de la scène inaugurale du métro se finit ou non de la même façon. Incertitude pour le spectateur, mais c'est maintenant à Brandon de choisir.  

domingo, 13 de março de 2011

True Grit (Coen, 2010) [eXsitu mars 2011]

A Serious Man débutait déjà par un épigraphe religieux : « receive with simplicity everything that happens to you. » Ce à quoi le personnage principal, accablé par l'effondrement progressif de toute son existence, n'avait pas d'autre choix que de se conformer – et on avait ri jaune de ce Job des sixties s'arrachant les cheveux sur fond de Jefferson Airplanes. True Grit fait un saut dans le passé encore plus lointain de la conquête de l'Ouest, et s'ouvre par une phrase tirée de la Bible : « the wicked flees when none pursueth » – comprendre, « le mauvais fuit quand nul ne le poursuit ». Redondance illustrant simplement la basique histoire de vengeance qui fait la trame du film ? Le « wicked » est alors sans nulle doute le meurtrier Tom Chaney (Josh Brolin), poursuivi avec une détermination très mature par la toute jeune fille de la victime, Mattie Ross, quatorze ans (Hailee Steinfeld), qui n'hésite pas à s'adjoindre les services d'un marshall bourru et alcoolisé, aux méthodes expéditives mais au talent réel (« true grit »), Rooster Cogburn (Jeff Bridges). Ce couple insolite est bientôt rejoint par le Texas Ranger LaBoeuf (Matt Damon), déterminé à inculper Tom Chaney pour un autre méfait : le meurtre du chien du gouverneur du Texas ayant dégénéré en assassinat du gouverneur lui-même.





La gamine, inattendue dans cet univers de western qui fait bien évidemment référence aux classiques du genre, renverse avec la truculence de son regard décidé mais encore (un peu) innocent nos habitudes de spectateurs. Si personne ne la prend tout d'abord au sérieux, elle n'en est pas moins efficace, car ne pas avoir l'air crédible est une constante chez les Coen, même si ça ne fait pas moins de dégâts – parlez-en aux victimes de Javier Bardem dans No Country For Old Men ou de Peter Stormare dans Fargo. Les corps sont des enveloppes qui ne s'ajustent pas exactement à ce qu'ils renferment vraiment. Jeff Bridges ne joue pas le rôle que John Wayne avait joué dans le True Grit de Hathaway en 1969 sans se sentir un poil héroïque – et pourtant, Cogburn et LaBœuf se chamaillent sous les yeux de Mattie, et les nôtres, pendant la moitié du film pour savoir lequel tire le mieux. L'homme dissimulé sous ses prétentions héroïques a toute les failles du ridicule, et a tendance à avoir l'humanité fébrile ou avinée. Jeff Bridges est parfait en ultime cow-boy vieillissant, qui finit par exploiter ses talents dans un cirque pour s'adapter à une société en mutation et prouver une fois de plus que l'Histoire Américaine imprime la légende et (surtout) la met en scène. La splendeur de l'insupportabilité de Matt Damon est quant à elle ingénieusement exploitée – quoiqu'on puisse regretter qu'il ne soit que blessé par le malencontreux coup de fusil de Jeff Bridges. Après tout la mort de Brad Pitt dans Burn After Reading était un soulagement certes fort égoïste mais ô combien jouissif. Les Coen sont aussi forts pour faire souhaiter la mort d'un personnage que leurs personnages à être fragilement vivants.

Car ceux qui sont descendus comme des lapins, points noirs à peine visibles dans la profondeurs de champs, n'offrent effectivement pas beaucoup de résistance. Rappel d'un âge d'or où les figurants s'effondraient en silence et où seul le héros avait droit à une agonie digne de ce nom ? Le lendemain matin, les cadavres bleuis et gelés suivent pourtant les vivants d'un regard accusateur. C'est que les Coen aiment bien renverser les tendances et occulter la mort du personnage principal (cf. Josh Brolin dans No Country) : ce sont les personnages secondaires qui peuvent prétendre à une mort en gros plans, suante, gargouillante et saignante. Quitte à ce qu'il soit complexe, ensuite, de se débarrasser des cadavres (et sans remonter jusqu'à Frenzy de Hitchcock, la réapparition quotidienne de la barge d'ordures servant de cimetière dans Ladykillers en est un parfait exemple). Le corps, aussi grotesquement absurde que sa mort puisse paraître, est un problème qui excède les limites de la vie et occupe même les vivants. Ce n'est pas pour rien que Mattie dort dans l'entreprise de pompe funèbre qui va enterrer le corps de son père, et fait déplacer celui de Rooster Cogburn dans le caveau familial. Ce n'est pas non plus pour rien que le serpent qui va la piquer et lui faire expier par la perte d'un bras la mort de Tom Chaney sort du ventre d'un cadavre.

«  The wicked flee when none pursueth », finalement, ce n'est peut-être pas le meurtrier que tout le monde poursuit. Parce qu'alors on aurait la fin de la citation : « but the righeous are as bold as a lion », et Matti, Rooster et LaBoeuf auraient été sans peur et sans reproche. Mattie pleurerait la mort de son père et non celle de son cheval, elle ne tuerait pas un homme, et Rooster ne courrait pas pour la sauver alors que nul ne le poursuit. Le rachat ressemblerait-il à la culpabilité ? Mais ce qui plane au-dessus du film des Coen c'est le lien entre la première et la dernière image : l'homme abattu gisant dans le cadre de lumière d'une porte de saloon ; une femme en noire tournant le dos à des pierres tombales et s'éloignant dans les hautes herbes d'une prairie. La caméra s'approche en travelling du mort, elle laisse la femme partir en demeurant à côté des tombes. Au milieu de cet encadrement macabre, Mattie Ross, dont la première apparition juvénile a lieu en gros plan derrière la vitre d'un train où se reflète la construction de l'Amérique, aura été un témoin qui a payé de son corps sa participation à la naissance morale et métaphysique d'une nation.


quinta-feira, 17 de fevereiro de 2011

La leçon de Piano - Campion (1993)


Je peux raconter les plans du dernier film que j'ai vu, les crissements et les grincements et les roucoulements, la lumière verte et grise autour des racines sombres, et sourdait une humidité poisseuse et immobile, avec des raies de soleil blanc entre les feuilles épaisses, et la mélodie d'un piano qui s'enroulait autour des branches et se glissait le long des troncs faits de multiples troncs et s'enfonçait dans la boue noire et luisante que recouvraient mal des tapis de feuilles mortes, avec au loin la promesse d'une plage immense où les rouleaux s'étendaient à l'infini, la forme des montagnes comme des guetteurs accroupis pour scruter l'horizon ; et là-dedans une pianiste muette envoyée par son père pour être mariée à un planteur de clôtures à la virilité incertaine et si éloigné de comprendre les aborigènes alentours qu'il ne fait que ça, oui, planter des clôtures, et échanger des fusils contre des terres qu'on ne veut pas lui vendre à cause de cimetières d'ancêtres, et heureusement qu'il y a son voisin qui traduit pour lui - mais le voisin, finalement, à force d'être fasciné par la femme muette qui joue du piano avec ses doigts si blancs et si fins, avec son cou si blanc et si gracile, avec ses cheveux et ses yeux si noirs, et sa robe noire aussi qui s'évase autour d'elle, le trait de khôl sous ses yeux et les tresses noires serrées qui tombent autour de ses oreilles et remontent vers un chignon parfait - à force d'être fasciné ce voisin, il en tombe amoureux, même si au début il la manipule, parce que c'est lui qui a hérité du piano abandonné sur la plage finalement, et il peut exiger des leçons de piano, puis il peut monayer quelques bonnes grâces, une bonne grâce pour chaque octave, et elle a acceptée cette pianiste muette au cou gracile, même si elle a faillit s'envoler la première fois où il a posé la main sur son cou si blanc, elle a accepté avec son regard noir et elle accepte de plus en plus jusqu'à la nudité, et il n'y a plus le son du piano qui s'enroule et s'étire mais les grincements et les crissements et les roucoulements de la jungle autour, la moiteur autour des corps nus, même si ils ne coucheront pas ensemble, pas cette fois là.