domingo, 13 de março de 2011

True Grit (Coen, 2010) [eXsitu mars 2011]

A Serious Man débutait déjà par un épigraphe religieux : « receive with simplicity everything that happens to you. » Ce à quoi le personnage principal, accablé par l'effondrement progressif de toute son existence, n'avait pas d'autre choix que de se conformer – et on avait ri jaune de ce Job des sixties s'arrachant les cheveux sur fond de Jefferson Airplanes. True Grit fait un saut dans le passé encore plus lointain de la conquête de l'Ouest, et s'ouvre par une phrase tirée de la Bible : « the wicked flees when none pursueth » – comprendre, « le mauvais fuit quand nul ne le poursuit ». Redondance illustrant simplement la basique histoire de vengeance qui fait la trame du film ? Le « wicked » est alors sans nulle doute le meurtrier Tom Chaney (Josh Brolin), poursuivi avec une détermination très mature par la toute jeune fille de la victime, Mattie Ross, quatorze ans (Hailee Steinfeld), qui n'hésite pas à s'adjoindre les services d'un marshall bourru et alcoolisé, aux méthodes expéditives mais au talent réel (« true grit »), Rooster Cogburn (Jeff Bridges). Ce couple insolite est bientôt rejoint par le Texas Ranger LaBoeuf (Matt Damon), déterminé à inculper Tom Chaney pour un autre méfait : le meurtre du chien du gouverneur du Texas ayant dégénéré en assassinat du gouverneur lui-même.





La gamine, inattendue dans cet univers de western qui fait bien évidemment référence aux classiques du genre, renverse avec la truculence de son regard décidé mais encore (un peu) innocent nos habitudes de spectateurs. Si personne ne la prend tout d'abord au sérieux, elle n'en est pas moins efficace, car ne pas avoir l'air crédible est une constante chez les Coen, même si ça ne fait pas moins de dégâts – parlez-en aux victimes de Javier Bardem dans No Country For Old Men ou de Peter Stormare dans Fargo. Les corps sont des enveloppes qui ne s'ajustent pas exactement à ce qu'ils renferment vraiment. Jeff Bridges ne joue pas le rôle que John Wayne avait joué dans le True Grit de Hathaway en 1969 sans se sentir un poil héroïque – et pourtant, Cogburn et LaBœuf se chamaillent sous les yeux de Mattie, et les nôtres, pendant la moitié du film pour savoir lequel tire le mieux. L'homme dissimulé sous ses prétentions héroïques a toute les failles du ridicule, et a tendance à avoir l'humanité fébrile ou avinée. Jeff Bridges est parfait en ultime cow-boy vieillissant, qui finit par exploiter ses talents dans un cirque pour s'adapter à une société en mutation et prouver une fois de plus que l'Histoire Américaine imprime la légende et (surtout) la met en scène. La splendeur de l'insupportabilité de Matt Damon est quant à elle ingénieusement exploitée – quoiqu'on puisse regretter qu'il ne soit que blessé par le malencontreux coup de fusil de Jeff Bridges. Après tout la mort de Brad Pitt dans Burn After Reading était un soulagement certes fort égoïste mais ô combien jouissif. Les Coen sont aussi forts pour faire souhaiter la mort d'un personnage que leurs personnages à être fragilement vivants.

Car ceux qui sont descendus comme des lapins, points noirs à peine visibles dans la profondeurs de champs, n'offrent effectivement pas beaucoup de résistance. Rappel d'un âge d'or où les figurants s'effondraient en silence et où seul le héros avait droit à une agonie digne de ce nom ? Le lendemain matin, les cadavres bleuis et gelés suivent pourtant les vivants d'un regard accusateur. C'est que les Coen aiment bien renverser les tendances et occulter la mort du personnage principal (cf. Josh Brolin dans No Country) : ce sont les personnages secondaires qui peuvent prétendre à une mort en gros plans, suante, gargouillante et saignante. Quitte à ce qu'il soit complexe, ensuite, de se débarrasser des cadavres (et sans remonter jusqu'à Frenzy de Hitchcock, la réapparition quotidienne de la barge d'ordures servant de cimetière dans Ladykillers en est un parfait exemple). Le corps, aussi grotesquement absurde que sa mort puisse paraître, est un problème qui excède les limites de la vie et occupe même les vivants. Ce n'est pas pour rien que Mattie dort dans l'entreprise de pompe funèbre qui va enterrer le corps de son père, et fait déplacer celui de Rooster Cogburn dans le caveau familial. Ce n'est pas non plus pour rien que le serpent qui va la piquer et lui faire expier par la perte d'un bras la mort de Tom Chaney sort du ventre d'un cadavre.

«  The wicked flee when none pursueth », finalement, ce n'est peut-être pas le meurtrier que tout le monde poursuit. Parce qu'alors on aurait la fin de la citation : « but the righeous are as bold as a lion », et Matti, Rooster et LaBoeuf auraient été sans peur et sans reproche. Mattie pleurerait la mort de son père et non celle de son cheval, elle ne tuerait pas un homme, et Rooster ne courrait pas pour la sauver alors que nul ne le poursuit. Le rachat ressemblerait-il à la culpabilité ? Mais ce qui plane au-dessus du film des Coen c'est le lien entre la première et la dernière image : l'homme abattu gisant dans le cadre de lumière d'une porte de saloon ; une femme en noire tournant le dos à des pierres tombales et s'éloignant dans les hautes herbes d'une prairie. La caméra s'approche en travelling du mort, elle laisse la femme partir en demeurant à côté des tombes. Au milieu de cet encadrement macabre, Mattie Ross, dont la première apparition juvénile a lieu en gros plan derrière la vitre d'un train où se reflète la construction de l'Amérique, aura été un témoin qui a payé de son corps sa participation à la naissance morale et métaphysique d'une nation.