sexta-feira, 14 de dezembro de 2012

Manhattan (Woody Allen, 1979)


Depuis son intervention face caméra au tout début d’Annie Hall, Allen n’hésite plus à mettre sa vie en scène dans ses films. Sauf que Manhattan, comme son titre et ses premiers plans l’indiquent, a aussi pour personnage la ville bien-aimée du réalisateur. Alors que défilent des vues de Manhattan magnifiées par le Scope et le noir et blanc, la voix d’Isaac Davis / Woody Allen se fait entendre : « Chapitre un. Il adorait New York City. Il l’idéalisait au-delà de toutes proportions (…) Chapitre un. Il était… aussi dur et aussi romantique que la ville qu’il aimait. Derrière ses lunettes à montures d’écailles il y avait le puissant pouvoir sexuel d’un chat sauvage. (…) New York était sa ville. Et le serait à jamais. »


Rhapsody In Blues égraine encore quelques notes tandis qu’un feu d’artifice illumine la skyline au loin. Malgré son besoin de paroles, Woody sait aussi faire parler la beauté des images. Comme à la fin du film, où les derniers mots de la jeune Mary (Mariel Hemingway), « crois en l’homme », cède la place à l’imposante cité et à sa plénitude. Allen, à l’époque, assurait qu’il ne pourrait jamais tourner ailleurs qu’à New York. Même si on sait qu’il s’est contredit dans ses opus plus récents, la sincérité de sa démarche à l’époque ne fait aucun doute.

Isaac Davis, donc, aime New York à la folie, veut écrire un livre, vient de plaquer son boulot d’écrivailleur comique, tente de détourner sa femme (Meryl Streep), qui l’a quitté pour une autre, du projet d’écrire un bouquin à propos de leur mariage, aime Tracy, à moins qu’il ne lui préfère Mary Wilke (Diane Keaton), mais Mary, elle, aime finalement son ami Yale Pollack (Michael Murphy). Petite plongée au sein de l’univers des intellectuels New Yorkais, qui savent parler d’art contemporain mais ne sauteraient pas d’un pont pour sauver un noyé. Allen livre une satire pince-sans-rire qui fut l'un de ses plus gros succès français, à croire que c'est les américains qui savent le mieux parler de nous ; à croire (voir la fin de Hollywood Ending) que l'on ne servirait qu'à assurer à Woody le succès au box-office.

Il faut dire qu'on n'avait jamais vu New York filmée comme cela, dans des plans larges où les personnages ne sont plus que des silhouettes, n'existant plus que par leurs voix présentes comme s'ils étaient au premier plan. Dans des lieux comme Central Park, un planétarium, le musée Guiggeheim, où les cadres précis et la lumière minutieuse rassemblent les personnages. La caméra et la voix d'Allen envahissent l'espace. Lors d'une séquence d'engueulade avec son ex-femme, l'enjeux sera en partie d’accéder au hors-champ, comme si laisser le décors vide derrière soi était encore un moyen d'en rappeler la pérennité au spectateur. La ville nous survivra.

[originellement publié dans Quartier Libre]

sexta-feira, 2 de novembro de 2012

Ilhabela #1




sexta-feira, 19 de outubro de 2012

XXI (Louise Labé)

Quelle grandeur rend l'homme vénérable ?
Quelle grosseur ? quel poil ? quelle couleur ?
Qui est des yeux le plus emmielleur ?
Qui fait plus tôt une plaie incurable ?

Quel chant est plus à l'homme convenable ?
Qui plus pénètre en chantant sa douleur ?
Qui un doux luth fait encore meilleur ?
Quel naturel est le plus amiable ?

Je ne voudrais le dire assurément
Ayant Amour forcé mon jugement
Mais je sais bien et de tant je m'assure,

Que tout le beau que l'on pourrait choisir,
Et que tout l'art qui aide la Nature,
Ne me sauraient accroître mon désir.

quarta-feira, 3 de outubro de 2012

La feijoada du bandejão


Le terme "bandera" (plateau) a donné lieu à un certain nombre de dérivés entrés dans la langue courante estudiantine : le substantif "bandejão" (restau U) ; le verbe "bandejar" (fait d'aller manger au bandejão, ce qui peut avoir lieu le midi ou le soir, mais pas le week-end, alors que j'ai entendu dire que certains bandejãos allaient jusqu'à proposer le petit dej' le dimanche matin !)

Le prix est au-delà de toute concurrence : R$2 par repas, gratuité pour les boursiers, avec immanquablement le "arroz e feijão" (riz et haricot), un plat de viande ou de poisson, du pain, de la salade, un dessert, des jus de fruits à volonté, du café à la sortie (pour donner une idée, le café est à R$1,20 à la cafet' de l'institut de philo, le pão des queijo à R$2, et il est difficile de trouver des jus de fruits naturels à moins de R$3). Je crois qu'il est possible de se resservir autant de fois qu'on le juge nécessaire, mais je n'ai pas encore tenté cette expérience probablement suicidaire s'il s'agit de faire quelque chose ensuite requérant de se déplacer. Il est également possible d'aller dans l'un des deux autres bandejãos qui, plus chics, proposent de vraies assiettes. Ce qui revient à tout mélanger avant même d'avoir commencé à manger, et je suis un peu snob pour ça, même si c'est également habituel dans les nombreux buffets au poids que l'on trouve un peu partout.

Vendredi dernier, déjeuner et dîner, c'était feijoada, événement absolument immanquable dont parlait toute l'université. J'avais mangé ma première feijoada brésilienne le lundi précédant, mais elle était végétarienne, il me fallait bien passer par cette étape importante de l'intégration à la culture brésilienne. J'ai survécu, un peu plus lourde après seulement.


segunda-feira, 24 de setembro de 2012

Barão Geraldo #1

Les lundi, mardi et mercredi matins, je vais à la fac à pied. Ce n'est pas très long, une demi-heure tout au plus, et je dois passer par la route de terre qui longe le quartier de Vila São João, puis marcher entre les arbres qui occupe le terre-plein d'une longue rue toute droite. Il y a un ypê jaune dont les fleurs tombées à terre font un tapis jaune ; aujourd'hui il a grêlé (mon premier orage, avec éclair et gens se précipitant à la fenêtre pour voir le ciel tomber) et je ne sais pas comment les fleurs seront demain. Des fleurs d'hiver... que peut être le printemps ?

 





Juste à côté de ma maison, un grand palmier tout droit et un immense cactus qui semble agiter les bras à son intention. Au fond, des fils électriques, qui parfois pendent jusqu'au sol sans que les gens ne s'en préoccupent plus que lorsqu'il s'agit de les éviter. Ce n'est pas visible sur la photo, mais la personne a qui appartient la maison sur la droite lave le trottoir devant chez elle, à grande eau, tous les matins. Il est heureux que les fils électriques ne pendent pas jusque là. Dans ma rue, les gens se contentent de passer le balais.
Je me perds encore sur le campus. Ceci n'en est que la version réduite, où il est facile de se rendre compte que je ne fréquente guère que la partie située à gauche de l'image. Les sciences humaines sont regroupées, art, philo et littérature côte-à-côte ; un peu plus loin déjà les langues ; et un peu plus loin encore, l'éducation.
J'ai tout de même fini par avoir une idée assez juste de tout ce qui se trouve au niveau du premier cercle. Le problème survient lorsqu'il s'agit de prendre la route qui s'engage vers le fond de la photo, et qui (l'image ne le dit pas) longe l'institut de biologie. Par là-bas, c'est le grand mystère, immense, avec ses banques et sa place de la paix, son hôpital et ses services étranges dont je ne suis pas parvenue à comprendre l'emploi, la dernière fois où cherchant désespérément la banque du Brésil, je me suis égarée en ces contrées inconnues. 
Un challenge avant la fin du semestre : ne plus se perdre dans Unicamp ?

Le coucher de soleil, un mardi soir où je sortais de mon cours à la Faculdade de Educação. J'ai eu de la chance, d'habitude le soleil disparaît si vite qu'il n'est pas possible de s'en rendre compte. 


quinta-feira, 20 de setembro de 2012

"La mise en scène chez Pierre Perrault" par Michel Marie

[à Unicamp, en avant-première sur la paraît-il à venir conférence parisienne]

Dans le cadre de la rétrospective Pierre Perrault organisée par l'association Balafon, comprenant en outre un colloque international à Belo Horizonte, ses films sous-titrés en portugais ont circulé à travers le Brésil pour arriver à l'espace culturel Casa do Lago d'Unicamp. Une conférence de Michel Marie, enseignant-chercheur rattaché à Paris 3 et venant de terminer un semestre de séminaires à Unicamp, est venu compléter la rétrospective.


J'ai donc eu l'occasion de voir Le règne du jour (1967) avec des sous-titres portugais (dont j'étais la seule à bénéficier malgré la rareté du fait - le spectateur francophone a accès à l'intégralité de l'oeuvre du cinéaste sur le site de l'Office National du Film). Je n'étais pas mécontente d'avoir les sous-titres à dire vrai, vu l'accent des protagonistes, qu'ils soient paysans québécois ou normands...


Pierre Perrault

Saisir la parole vécue
Dans le cinéma documentaire, à la différence du cinéma de fiction, la mise en scène n'est pas organisée à l'avance. Pour Pierre Perrault, « c'est la vie qui met en scène », non pas le cinéaste. Ce qui peut apparaître contradictoire, car il lui arrive de créer des situations de toute pièce – par exemple organiser une pêche qui n'a pas eu lieu depuis trente ans – mais cela dans le but de « filmer la parole vécue. » La situation, qu'il s'agisse de pêche, de chasse, de discussion politique, devient le moyen d'enregistrer un dialogue spontané. Alors que la fiction reproduit la vie par le biais de l'imaginaire, le « cinéma du vécu » enregistre la vie même. Le matériau est la vie, l'instrument le cinéma direct.
Pour cela, il faut savoir saisir l'occasion. Souvent le tournage d'un film devient, chez Perrault, l'occasion d'un autre : lorsqu'il filme Un pays sans bon sens, l'une des séquences deviendra Acadie, Acadie ; le matériau filmé des Montagniers permettra de réaliser le Pays de la terre sans arbres. Il faut donc garder une disponibilité entière aux hasards du tournage. Savoir attendre, c'est métaphoriquement ce qui se retrouve dans la plupart de ses films : le pêcheur, le chasseur, à l'égal du cinéaste, mettent en place un dispositif qui permet de tuer la proie, de capturer l'occasion, de saisir la situation.
Perrault ne filme jamais des entretiens. Le voyage en France de Le règne du jour, la construction de bateaux en bois, la chasse à l'orignal de La bête lumineuse sont autant d'occasions de faire naître la parole. Lors du tournage de Pour la suite du monde, le cinéaste raconte qu'alors qu'il est dans la cuisine d'Alexis Tremblay, avec son « sac de questions », arrive le fils de ce dernier : « au lieu d'obtenir une réponse, ou même deux réponses, j'enregistre un dialogue qui bien sûr abouti à une controverse. Un épisode de vie plus qu'un récit. Je ne suis plus dans le passé du récit, je suis dans le présent de la controverse. Je ne suis pas encore tout-à-fait dans la parole vécue, mais j'ai déjà un pied dans l'actualité, dans le présent de la parole. » Les protagonistes oublient la présence du cinéaste : « Je viens de découvrir un nouvel état de la parole : le dialogue. » Dans La bête lumineuse, le groupe des chasseurs n'est quasiment jamais vu chassant, mais chacun par contre parle beaucoup, se querelle, se chamaille, se provoque.

Le pays, le royaume
L'hypothèse créatrice qui traverse le cinéma de Perrault est celle du pays, du royaume. On en trouve la trace jusque dans les titres de ses films (Un pays sans bon sens, Un royaume vous attend), mais ce qui l'intéresse surtout est de trouver des personnages qui lui permettent de véhiculer cette idée. Dans Un pays sans bon sens, un biologiste de Québec, fédéraliste, oppose son point de vue à un francophone de l'Alberta qui, isolé dans cet état à majorité anglophone, est convaincu que les francophones doivent avoir un pays autonome.
Lorsque dans les années 1970 Perrault obtient des subventions de l'Office National du Film pour faire un documentaire sur un contesté barrage hydroélectrique (« Baie James »), le projet prend une toute autre tournure avec le désir du cinéaste de chercher « quelqu'un avec l'idée de royaume ». « Je ne filme jamais les gens que je n'aime pas », affirme-t-il, et visiblement les électriciens et les ingénieurs d'Hydroquébec ne satisfaisaient pas ses critères. Il rencontre un paysan qui s'attache à cultiver un morceau du Québec – un morceau du royaume – et c'est à partir de cette première rencontre que six ans de tournage mèneront à la réalisation de la série sur l'Abitibi (quatre films) et sur les Montagniers (deux films). « Le sentiment de conquête, la recherche du goût du royaume, je l'ai trouvé chez Maurice Lalancette », comme il le trouvera aussi, pour le cycle de l'Île-aux-Coudres, chez Alexis Tremblay et Grand Louis.

Le temps du montage
Le cinéaste choisi les protagonistes qu'il filme (même s'il affirme que ce sont eux qui choisissent), et il filme ensuite longuement : un an de tournage est nécessaire à Pour la suite du monde ; le cycle sur l'Abitibi et sur les Montagniers demandera dix ans au final. Le montage demande des mois, voire des années, pour passer d'une centaine d'heures de rush à deux heures de film. Perrault est convaincu que le montage permet de découvrir la vérité du tournage, qu'il n'existe qu'une seule façon de monter le film correctement. Le montage est la révélation du tournage. « Monter, c'est associer, dégager le contenu en vrac dans le tournage. Je fais le montage contenu dans le tournage. La vie se met en scène, le tournage se met en montage, il ne me reste plus qu'à obéir. »

terça-feira, 11 de setembro de 2012

São Paulo #3 (sculptures)

Dans le Parque da Luz, à côté de la Pinacoteca et en face du Museu da Lingua Porguesa, j'ai trouvé un immense collier de céramique. 

Les arbres brésiliens m'étaient pour la plupart inconnus jusqu'alors, et à part le très jaune et très reconnaissable îpe, je n'ai guère identifié que le palmier et le ceringueira, dont les branches semblent s'égoutter jusqu'au sol. J'ai ainsi vu quelqu'un jouer à se balancer à côté du parque Ibirapuera, il s'est élancé pour traverser une rue au bout de sa liane alors qu'une voiture arrivait - heureusement lentement. Toujours dans le Parque da Luz, avec au fond les toits de l'une des innombrables églises de São Paulo, et posant devant un autre exemple d'arbre inconnu, une statue du brésilien Brécheret. Courbes arrondies à la Matisse, mais en 3d, qui font penser à Bourdelle (qu'il a d'ailleurs fréquenté). "La porteuse de parfum" se trouvait aussi dans le parc ; l'une de ses versions peut être admirée dans le jardin de la reine du parc du Luxembourg. Mais j'imagine que Brécheret est surtout connu pour son "Monumento às Bandeiras", que je n'ai d'ailleurs pas vu, mais dont les photos font penser au "Monumento das Descobertas" qui regarde le Tage à la sortie de Lisbonne...

                                                                                                                                                                                                            D'une femme seule on passe à deux : elles contemplaient les promeneurs du Parque Ibirapuera, et je n'ai pas pu résister au déhanché gracieux de leurs ventres triangulaires. Je ne sais si c'est le contexte des élections ou le milieu estudiantin, mais tout le monde ici semble parler d'homosexualité. Le mariage, légal chez les voisins argentins (y compris avec adoption d'enfants, ce qui n'est pas le cas au Portugal par exemple, magique exemple d'inconstitutionnalité) ne semble pas près d'être promulgué ici, mais tout le monde en parle (y compris dans mes cours de portugais, où nous sommes censés débattre de la chose). 
À part ça, j'ai l'impression que les homo sont plus visibles, mais c'est peut-être jusque que les gens en général se tripotent et s'embrassent plus. Lors de la fête de la Beira Vaca j'ai pu observer un jeune couple qui suivait la foule dansante et avinée sans décoller leurs lèvres (et leurs corps) ; je ne suis pas parvenue à comprendre comment ils arrivaient à translater ainsi avec une telle grâce, sans avoir l'air de crabes. Ça doit être une caractéristique brésilienne.


domingo, 9 de setembro de 2012

São Paulo #2 (Parque Ibirapuera)

J'ai lu quelque part dans Memories, Dreams, Reflections de Jung que la croyance en des êtres extra-planétaires viendrait contrebalancer l'absence de spiritualité de nos sociétés occidentales. Le Brésil semble avoir décidé d'y remédier jusque dans son architecture - même si de ce que j'ai entendu jusqu'à présent (Ubanda, Candomblé et d'autres croyances et superstitions populaires encore) la spiritualité ne fait pas défaut. Mais peut-être que São Paulo n'est pas autant perméable à ce genre de cérémonies que les villes "do interior" ? Le São Paulo officiel tout au moins, celui que l'on croise, comme ce bâtiment impromptu, au milieu du parc Ibirapuera : middle-class, courant un après-midi de semaine pour se maintenir en forme, mais allant aussi s'étendre au pied d'un palmier, encore en costard, pour siester une pause.


Os Gemeos

J'ai donc fini par trouver le parc, après avoir questionné quelqu'un qui a tenté de me dissuader d'y aller à pied. La voiture a le même effet d'allongement des distances que le métro : l'heure de marche qu'il m'avait indiqué s'est muée en une petite demi-heure, mais il faisait chaud et la route était droite, j'ai été soulagée de pouvoir enfin parcourir des allées un peu moins rectilignes et plus ombragées. Moins bruyantes aussi, moins mouvementées, moins largement peu humaines. Les jets d'eau étaient impressionnant de hauteur. L'eau ne manque pas ; en tout cas à Barão Geraldo les gens ne s'en préoccupent pas lorsqu'il s'agit de laver leurs voitures, et São Paulo est réputé pour l'humidité de son climat - les nuages, pourtant, étaient peu présents lors de mes quelques jours de visite.


Le Musée d'Art Moderne était fermé parce que l'exposition de la semaine suivante était en cours d'installation. J'ai bu un jus de Maracuja. Le temps s'est suspendu un instant pour que je puisse m'asseoir contre un arbre et penser à ce qu'il conviendrait de faire ensuite. 

sábado, 8 de setembro de 2012

Universidade










05/08/12

MPB


Valsinha (Chico Buarque)


E então ela se fez bonita como há muito tempo não queria ousar
Com seu vestido decotado cheirando a guardado de tanto esperar
Depois os dois deram-se os braços como há muito tempo não se usava dar
E cheios de ternura e graça, foram para a praça e começaram a se abraçar


E ali dançaram tanta dança que a vizinhança toda desperto
E foi tanta felicidade que toda cidade se iluminou
E foram tantos beijos loucos, tantos gritos roucos como não se ouvia mais
Que o mundo compreendeu, e o dia amanheceu em paz

Construção (Chico Buarque)
Amou daquela vez como se fosse a última
Beijou sua mulher como se fosse a última
E cada filho seu como se fosse o único
E atravessou a rua com seu passo tímido
Subiu a construção como se fosse máquina
Ergueu no patamar quatro paredes sólidas
Tijolo com tijolo num desenho mágico
Seus olhos embotados de cimento e lágrima
Sentou pra descansar como se fosse sábado
Comeu feijão com arroz como se fosse um príncipe
Bebeu e soluçou como se fosse um náufrago
Dançou e gargalhou como se ouvisse música
E tropeçou no céu como se fosse um bêbado
E flutuou no ar como se fosse um pássaro
E se acabou no chão feito um pacote flácido
Agonizou no meio do passeio público
Morreu na contramão atrapalhando o tráfego

Amou daquela vez como se fosse o último
Beijou sua mulher como se fosse a única
E cada filho seu como se fosse o pródigo
E atravessou a rua com seu passo bêbado
Subiu a construção como se fosse sólido
Ergueu no patamar quatro paredes mágicas
Tijolo com tijolo num desenho lógico
Seus olhos embotados de cimento e tráfego
Sentou pra descansar como se fosse um príncipe
Comeu feijão com arroz como se fosse o máximo
Bebeu e soluçou como se fosse máquina
Dançou e gargalhou como se fosse o próximo
E tropeçou no céu como se ouvisse música
E flutuou no ar como se fosse sábado
E se acabou no chão feito um pacote tímido
Agonizou no meio do passeio náufrago
Morreu na contramão atrapalhando o público

Amou daquela vez como se fosse máquina
Beijou sua mulher como se fosse lógico
Ergueu no patamar quatro paredes flácidas
Sentou pra descansar como se fosse um pássaro
E flutuou no ar como se fosse um príncipe
E se acabou no chão feito um pacote bêbado
Morreu na contra-mão atrapalhando o sábado

Por esse pão pra comer, por esse chão prá dormir
A certidão pra nascer e a concessão pra sorrir
Por me deixar respirar, por me deixar existir,
Deus lhe pague
Pela cachaça de graça que a gente tem que engolir
Pela fumaça e a desgraça, que a gente tem que tossir
Pelos andaimes pingentes que a gente tem que cair,
Deus lhe pague
Pela mulher carpideira pra nos louvar e cuspir
E pelas moscas bicheiras a nos beijar e cobrir
E pela paz derradeira que enfim vai nos redimir,
Deus lhe pague

TIEJ

J'ai écrit : Je, et j'ai regardé l'encre former un renflement bleu avec un petit reflet en liseré qui doit venir de la fenêtre, puis le papier a absorbé l'encre et les lettres sont devenues toutes plates et ternes, et il y avait des bavures minuscules qui rendaient les contours irréguliers, on pouvait les voir en y regardant de très près, comme des fractales microscopiques. J'ai barré j'ai écrit : il. J'ai encore regardé, et j'ai transformé le i en e en lui ajoutant une boucle qui avalait le point, et j'ai ajouté un l et un e. J'ai barré j'ai écrit : tu. J'ai barré. J'ai plié la feuille en deux en appuyant sur la pliure avec l'ongle du pouce pour qu'elle soit plus nette. J'ai posé la feuille sur la table pour qu'elle tienne toute seule, comme une carte de voeux, j'ai soufflé et elle est tombée en restant ouverte en triangle, comme une tente, ou comme les deux premières cartes d'un château de cartes. J'ai pris la feuille je l'ai roulée en boule je l'ai envoyée vers la corbeille à papier sous le miroir, elle a rebondit sur le miroir et elle est tombée à côté de la corbeille, et quand j'y suis allée pour la ramasser j'ai vu mon reflet dans le miroir alors j'ai ramassé la feuille je l'ai dépliée, je l'ai lissée sur ma cuisse pliée en arrondissant la feuille dessus et en appuyant avec mes deux paumes, puis j'ai reposé le pied je suis allée m'asseoir j'ai écrit :

Quand tu t'es réveillée ce matin, le soleil entrait dans la chambre en faisant des lignes horizontales sur le parquet qui s'inclinaient en diagonales quand elles atteignaient le mur. L'une des raies de lumière obliques était en train de rentrer dans le coin du miroir, et tu as cligné des yeux pour chasser l'éblouissement du reflet qui tombait droit sur toi. Tu es restée un peu dans le lit après t'être tournée de l'autre côté, parce que tu pensais à un film de Jacques Tourneur que tu as vu il n'y a pas longtemps dans lequel la lumière de la lune découpait aussi des lignes horizontales sur le mur de la chambre de l'héroïne, et qu'ensuite tu as pensé à un livre que tu lisais quand tu étais enfant et où il y avait cette phrase : "un rayon de lune transperçait l'obscurité et tombait sur son visage comme une lame d'argent". Tu t'es un peu rendormie, mais pas tout à fait, si bien que tu étais comme pétrifiée entre une lame d'argent et un rayon de soleil, et que quand tu as enfin réussi à bouger pour échapper aux battements des tambours géants qui commençaient à faire trembler les murs de la pièce où tu te reflétais par fragments dans une mosaïque de miroirs, tu as de nouveau été éblouie par le rayon de soleil qui avait presque atteint le milieu de l'oreiller, et tu t'es levée. En réalité, il y avait des nuages au-dehors, et quand tu es sortie de la salle de bain, avec les effluves de parfum et la touffeur de la pièce qui s'accrochaient encore à toi en faisant de petites spirales grises avec des contours qui s'effaçaient en se rétractant comme la buée de l'haleine soufflée sur une vitre, il faisait gris. Tu as bu un café très noir et très chaud. Quand la tasse a été vide, tu as essayé de prédire ton avenir dans les traces brunes que le café avait laissé. Il y avait une ligne irrégulière, comme une fissure, qui coupait le fond de la tasse en deux parties presque égales. La ligne devait avoir une certaine épaisseur, si bien que quand tu tournais la tasse pour essayer d'interpréter la forme de la ligne, le peu de café qui restait stagnait toujours du même côté de la ligne, et de ce côté-là le fond était presque uniformément brun, alors que de l'autre côté il y avait de tous petits points noirs, comme des étoiles en négatifs, et que la ligne était lisse de ce côté, alors que de l'autre elle essayait de s'élargir en déployant des petites branches hérissées, comme des coraux séchés, ou comme une myriade de voies lactées microscopiques. Mais c'était juste du café alors tu as pensé que c'était bête, et qu'il n'y avait aucune promesse d'avenir là-dedans, après tout. Tu as lu un peu, en pensant à autre chose et tes yeux s'échappaient sans cesse quand tu arrivais à la fin d'une ligne, et il fallait que tu fasses un effort pour qu'ils arrêtent de fixer le mur blanc, ou la tasse de café, ou le reflet du haut du dossier de la chaise sur la table en verre, d'autant plus que si tu bougeais la tête le dossier se confondait de façons différentes avec son reflet et que comme il était fait d'une armature de métal arrondi en forme de deux escargots accolés, tu pouvais voir deux tourbillons, ou un sourire crispé, ou des yeux qui te regardaient avec l'air écarquillé des personnages de dessins animés qui ont reçu un coup sur la tête. Alors tu es allée t'habiller pour sortir, tu as mis le livre dans ton sac avec d'autres livres que tu devais aller rendre à la bibliothèque, il y avait de nouveau un peu de soleil et le rayon avait glissé tout en haut du miroir maintenant, quand tu t'es regardée dedans pour mettre un trait de khôl sous tes yeux tu as essayé de décrire ton reflet et tu as pensé : "Ses cheveux encadraient harmonieusement son visage en ondulant gracieusement jusqu'à effleurer ses épaules. Ils avaient la couleur de l'éclat du soleil au moment où il jette ses premier rayons sur la surface de la terre. C'était comme une illumination pleine joie, les étincelles d'un feu de la Saint Jean lorsque les jeunes paysannes se laissent embrasser en riant sur leurs joues rougies par l'effort de la danse. Le nez était petit, retroussé ; la bouche régulière, découvrant des dents petites et blanches ; les joues s'arrondissaient comme deux petites pommes mûres lorsqu'elle riait. Le visage était piqueté de tâches de son, et les yeux, qui étaient légèrement fardés pour souligner le regard, avaient une expression calme et grave. On se perdait dans leurs reflets bleus et verts et dans l'éclat parfois dorés de la pupille, et il y avait ainsi, dans ce visage, comme une promesse d'immensité tranquille, dissimulée au milieu d'un flamboiement d'enthousiasme juvénile, et qui apaisait." Tu as soufflé sur le miroir et la buée a tout masqué d'une uniformité grise. Tu as pris ton sac et tu es sortie en oubliant tes clefs. Tu as descendu l'escalier en t'accrochant à la rampe pour pouvoir tourner en courant à chaque palier. Tu as été éblouie par le reflet du soleil sur les pavés dès que tu as été dehors, et ensuite tu as marché vers le soleil en n'ouvrant les yeux que de temps en temps pour vérifier si tu n'allais pas à la rencontre d'un obstacle. C'est à cause de ce jeu que tu ne t'es pas rendu compte tout de suite que

J'ai barré la dernière phrase j'ai écrit : C'est à cause de cela, sans doute, que l'étrangeté des gens ne t'as pas immédiatement frappée. J'ai barré la phrase que je venais d'écrire, j'ai écrit : C'est à cause de cela que tu ne t'es pas rendu compte de l'étrangeté des gens. J'ai barré, j'ai écrit : C'est à cause. J'ai barré, j'ai levé le stylo, j'ai regardé la feuille, j'ai barré : tu es sortie en oubliant tes clefs. Puis toutes les phrases qui suivaient le passage entre guillemets. J'ai froissé la feuille en faisant une petite boule serrée, je l'ai envoyée vers la corbeille, elle a rebondit sur le miroir et est tombée dans la corbeille. Je me suis levée j'ai payé mon café au comptoir, j'étais debout sur la barre de métal dorée qui permet de poser les pieds au bas du comptoir, j'ai regardé mon reflet dans le grand miroir derrière les bouteilles qui se reflétaient elle aussi en double, je n'ai pas regardé le serveur. J'ai marché en regardant mes pieds jusqu'à un parc, je me suis assise sur un banc, j'ai regardé les canards nager en double dans le petit lac artificiel, j'ai ramené mes genoux vers moi en posant les pieds sur le banc pour pouvoir appuyer mon carnet sur mes genoux, j'ai écrit :

Il était tard lorsqu'elle se réveilla, le soleil était déjà haut dans le ciel, et il allait bientôt disparaître derrière les nuages froids et gris qui feraient de cette journée une vraie journée d'automne. Elle se sentait rêveuse et alanguie, comme un dimanche matin où l'humeur semble se conformer à la lente chute des feuilles mortes jusqu'au sol. Elle se trouva l'air endormi dans le miroir, et pris une douche, puis le petit-déjeuner, puis elle essaya de lire mais elle était toujours confusément rêveuse. Elle décida de sortir, pour faire quelque chose d'énergique et qui la réveillerait : elle irait à la bibliothèque, rendrait les livres empruntés, travaillerait, puis irait voir un film à la séance de dix-neuf heures. Justement, il passait Docteur Jekyll et Mister Hyde de Mamoulian à la cinémathèque, et elle venait de finir de lire le livre de Stevenson.
Elle jeta son sac sur son épaule et dévala l'escalier en courant après avoir fait claquer vigoureusement la porte derrière elle. Le soleil avait décidé de refaire une apparition fugace entre deux nuages gris, et elle fut éblouie lorsqu'elle sortit sur le trottoir après la pénombre de l'escalier. Elle cligna des yeux et se mit en rapidement en marche en direction de la bibliothèque, sans prêter attention à rien si ce n'est à l'air frais qu'elle respirait avec plaisir en se sentant d'un coup plus dynamique. Le soleil nimbait la rue de chaleur et se reflétait dans les vitrines devant lesquelles elle passait, et où elle pouvait apercevoir, du coin de l'oeil, ses mouvements vifs.
Ce n'est qu'au bout d'une centaine de mètres, alors qu'elle attendait avec deux autres personnes auprès d'un feu tricolore que le petit bonhomme devienne vert, qu'elle se rendit compte qu'il y avait quelque chose d'étrange chez les deux personnes qui l'encadraient. Leurs corps étaient tout à fait normaux, mais il y avait quelque chose d'inhabituel au niveau de leurs visages, comme

Je me suis levée du banc en fermant le carnet en attrapant mon sac j'ai commencé à marcher vite en direction de l'étang. Le vieux qui s'avançait résolument vers le banc s'y est assis après avoir soigneusement essuyé avec son mouchoir l'endroit où j'avais posé mes pieds pour pouvoir relever les genoux, il a levé la tête et agité l'index dans ma direction, et l'index avait un air désaprobateur. J'ai regardé les canards qui nageaient dans l'étang en se reflétant à l'envers, il y en avait un qui avait la tête plongée dans l'eau, et on ne voyait que son cou, et son reflet était tout tremblant, à cause du mouvement de l'eau qui faisait des vagues circulaires là où le cou était coupé en deux par la surface de l'eau. J'ai marché, j'ai rangé le carnet dans le sac à côté des livres tout en marchant, j'ai regardé mes pieds qui avançaient l'un après l'autre. Ils ont monté un escalier de pierres, et il faisait sombre. J'ai levé les yeux quand il n'y a plus eu de marches, j'ai vu mon reflet dans la porte vitrée, il y avait une porte en bois sombre qui était fermée derrière la porte vitrée, et j'ai lu : "la bibliothèque ouvre à 14 heures les derniers mercredi de chaque mois", et il faisait sombre de nouveau, et mes pieds descendaient les marches. J'ai marché en regardant les flaques où les gouttes de pluie faisaient trembloter les nuages qui étaient dans les pavés. J'ai pris le métro, j'ai regardé mon reflet dans le noir du tunnel. J'ai regardé les mains d'une femme qui ressemblaient à des mains de squelettes, avec un traits bleuté qui soulignait chaque veine protubérante. J'ai marché j'ai monté un escalier j'ai dit que j'allais à la bibliothèque je n'ai pas regardé la femme a qui j'ai demandé des livres je suis allée m'asseoir j'ai ouvert mon carnet j'ai regardé la page où il y avait écrit : Il était tard lorsqu'elle se réveilla et j'ai barré la page, et aussi la page suivante. J'ai fermé le carnet je l'ai rangé, quand la femme est venue m'apporter les livre je lui ai demandé des feuilles de papier brouillon et elle m'en a donné. J'ai ouvert un livre je l'ai posé en face de moi j'ai laissé les pages tourner jusqu'à ce que le livre reste ouvert tout seul j'ai pris une feuille j'ai écrit : Tout a commencé quand j'ai regardé le visage de cet homme. J'ai regardé la feuille j'ai ri, j'ai arrêté de rire, j'ai plié la feuille je l'ai posé à côté de moi j'en ai pris une autre j'ai écrit :

Quand Nicolas se réveilla, tout avait l'air parfaitement normal. Le soleil se glissait entre les volets pour annoncer l'une de ces belles journées du début de l'automne, où les arbres commencent à prendre des teintes pourpres, et où le vent joue à emporter les feuilles mortes en les faisant s'enrouler sur elles-mêmes comme des acrobates de cirque.
Il bu son café en appréciant la chaleur du liquide qui emplissait sa bouche et coulait dans sa gorge, puis il pris une douche. Il se sécha soigneusement, en tirebouchonnant la serviette pour pouvoir éponger l'eau qui s'était glissée derrière ses oreilles et entre ses orteils. Il contempla avec plaisir l'image que reflétait le miroir, détaillant son torse bien développé, ses larges épaules, sa chevelure rousse ébouriffée par la serviette. Il se pencha vers le miroir, et observa sa main aller et venir sur les poils blonds qui parsemaient son menton, mais il jugea qu'il n'avait pas besoin de se raser. Ses yeux bleus, limpides, lui jetèrent un regard candide et joyeux quand il pensa à Chloé, et sa bouche sourit en découvrant de régulières dents blanches. Il avait rendez-vous avec elle aujourd'hui au parc, et il devait se dépêcher maintenant s'il ne voulait pas qu'elle fasse sa petite moue boudeuse lorsqu'il arriverait avec dix minutes de retard. Mais il adorait qu'elle fasse sa petite moue boudeuse.

J'ai levé le stylo j'ai ri. J'ai regardé autour de moi et j'ai arrêté de rire. J'ai regardé la vitre en face où j'étais en train de me regarder, pâle sur le ciel gris, plus nette sur les feuilles du platane, et encore plus visible sur les branches assombries par la pluie. Je ne voyais bien que mon avant-bras et ma main. J'ai barré tout ce qu'il y avait après "un regard candide et joyeux" et j'ai écrit :

quand il pensa à la belle journée qui s'annonçait. Même le coup d'oeil qu'il jeta par la fenêtre vers le ciel où le soleil avait disparu derrière d'épais nuages gris n'effaça pas son sourire. Il s'habilla, prépara son sac, se regarda une dernière fois dans le miroir, son reflet lui tira la langue, il rit encore, et sortit en faisant claquer la porte derrière lui. Il dévala l'escalier en sentant avec plaisir les muscles de ses cuisses se contracter puis se détendre successivement. Le soleil était de nouveau là lorsqu'il sortit dans la rue, et Nicolas s'amusa à marcher en équilibre sur la limite entre l'ombre des immeubles et le soleil, ce qui fait qu'il ne remarqua pas tout de suite l'aspect étrange des gens qui l'entouraient.
Lorsque pour la première fois il leva les yeux vers le visage d'une personne qui arrivait en face de lui, il fut tellement surpris qu'il demeura le pied droit en l'air, l'autre pied exactement posé sur la limite entre l'ombre et la lumière. Mais la personne le dépassa et disparu sans lui prêter attention, et il pensa qu'il avait eu un instant d'illusion, alors il reposa son pied. Mais la deuxième personne qu'il regarda présentait la même caractéristique, et aussi la troisième, et la quatrième, et quand il se mit à courir en dévisageant anxieusement les visages de toutes les personnes qu'il croisait, il commençait à avoir vraiment peur.
Chacune des personnes qu'il croisait avait le même visage, et c'était le sien.

J'ai arrêté d'écrire j'ai pris la feuille que j'avais plié et déposée à côté de moi et où j'avais écrit : Tout a commencé quand j'ai regardé le visage de cet homme, et j'ai écrit :

J'étais dans la rue depuis quelques temps déjà, je sortais de chez moi pour aller à la bibliothèque, il ne faisait pas très beau, mais le soleil perçait pour un instant à travers les nuages, et c'était agréable de marcher ainsi dans la lumière douce de ce matin d'automne. Je pensais à un rêve étrange que j'avais fait juste avant de me réveiller, à un livre que j'étais en train de lire, et je ne regardais pas autour de moi. Je m'arrêtais seulement, de temps à autre, pour observer les vitrines des magasins, et ma silhouette pâle qui s'y reflétait, avec le trait de couleur de mes cheveux roux. La première personne que j'ai regardé était donc cet homme, qui était arrêté comme moi au niveau du passage piéton, et auquel je n'ai tout d'abord pas prêté grande attention. Il portait un costume gris, tout à fait banal, avec des chaussures en cuir marron, un petit attaché-case à la main, une chemise blanche, et une cravate à rayures obliques. Il poussait du pied, vers le mur, un pavé qui se trouvait au milieu du trottoir, si bien que je n'ai pas tout de suite pu voir son visage. Il avait les cheveux roux et longs. Quand il se retourna il me regarda avec stupéfaction. Et quand j'ai ouvert la bouche pour crier, il a aussi ouvert la bouche pour crier, mais il ne l'a pas fait, lui, et je me suis enfuie en traversant le passage piéton au milieu du crissement des freins et des klaxons. Mais les personnes qui attendaient de l'autre côté de la route, au lieu d'avoir l'air désaprobateur des badauds qui attendent sagement aux feux lorsqu'il regarde quelqu'un traverser alors que ce n'est pas à son tour, avaient tous des tâches de rousseur, tous des yeux écarquillés, tous des sourcils en forme d'arcs prêts à se rompre, tous une bouche ouverte et muette. Je suis passée en courant au milieu d'eux, je me suis retournée vers eux quelques pas plus loin, ils s'étaient retournés aussi pour suivre des yeux ma course désordonnée, et je les ai regardés, j'ai regardé ces multiples reflets de moi-même, j'ai fermé les yeux, j'ai ouvert les yeux, et je ne les ai pas vu ouvrir les yeux en même temps que moi, et quand je me suis retournée pour me remettre à courir il y avait encore mon visage juste en face de moi, et il a bougé les lèvres pour essayer de dire "pardon" mais comme il avait la bouche déjà ouverte elle n'a proférée aucun son, et j'ai juste entendu "rdon" et je me suis mise à courir.

J'ai levé le stylo j'ai regardé la feuille je l'ai plié. Je me suis levée, j'ai rangé mes affaires dans le sac, j'ai rendu les livres, j'ai descendu les escaliers, j'ai acheté un billet pour le film de 19h30. J'ai marché jusqu'à l'entrée de la salle. J'ai tendu mon billet à l'ouvreur, j'ai regardé l'ouvreur tu as regardé l'ouvreur il a regardé l'ouvreur l'ouvreur était moi m'a regardé. Le film était incompréhensible, tous les acteurs avaient le même visage.

Lisboa #2

Le tram jaune tressaute en passant dans l'ombre du Ponte Vinte e Cinco de Abril. Les poignées de cuir entament une ronde irrégulière. Les yeux plissés, le vieux regarde leur danse disgracieuse, et il se rencogne contre l'appui de bois de la fenêtre ; dans l'encadrement disparaissent la pile orangée du pont, une pastelaria à l'enseigne verte ornée d'un triangle rouge délimité de jaune, les regards absents des gens attendant le bus de l'autre côté de la rue. L'ombre du tram sautille entre le caniveau et les pavés du trottoir. Les poignées de cuir s'inclinent en arrière avec ensemble, depuis son siège le vieux peut voir le conducteur de 3/4 dos qui fait tourner vers la gauche une manivelle horizontale, et l'ombre du tram s'immobilise dans un crissement. La porte se plie en deux avec un claquement avant de s'effacer sur le côté. Deux personnes se hissent dans le tram et s'arrêtent au niveau du conducteur. Le vieux pose son doigt sur l'armature de ses lunettes, à l'endroit plus épais où elles reposent sur son nez, et les fait glisser vers ses yeux. Le jeune homme ouvre un portefeuille, et la jeune fille regarde vers l'arrière du bus en écarquillant légérement ses grands yeux bleus. Elle enroule distraitement une mèche de cheveux autour de son doigt sans prêter attention au conducteur, et appuie sa hanche contre la parois. Le tram démarre en cahotant, sa hanche glisse, elle se retient en lançant sa main vers l'une des poignées de cuir qui ont recommencé à tressauter et son débardeur découvre un coin de son ventre pâle. Le garçon a fait tomber une pièce qui rebondit sur le sol et il s'accroupit pour scruter le plancher rainuré en plissant les yeux. La fille avance dans l'allée centrale par étapes successives, en saisissant les poignées de cuir d'une main, puis de l'autre, dans une torsion de tout son corps qui la fait se balancer sur ses hanches en se cambrant. Elle s'agrippe à une barre de métal, puis à la poignée qui fait le coin du dossier où se rencogne le vieux. Le garçon rejoint la fille et lui tend son ticket, elle ne s'en aperçoit pas, les yeux perdus dans le vague de la fenêtre où le vieux contemple son reflet, et c'est seulement quand il lui touche l'épaule qu'elle tourne les yeux vers lui. Les roues du tram crissent et le garçon trébuche et se retient à l'épaule nue de la fille comme s'il l'entraînait dans une danse, ses doigts laissant une marque rouge qui met quelques secondes à disparaître. Le vieux regarde l'ombre immobile du tram sur le trottoir, il appuie son menton plissé sur sa canne et ferme les yeux. Dans la vitre son reflet pâle efface les aspérités de sa peau et les poils gris courts irréguliers qui s'inclinent de part et d'autre des replis plus sombres des rides. Pendant un instant son reflet disparaît complètement dans l'ouverture brutale entre deux bâtiments où s'encadre le bleu étincellant du fleuve, comme un immense serpent à la peau écailleuse sans cesse en mouvements. De nouveau un mur gris file derrière la vitre et la jeune fille aperçoit du coin de l'oeil, aux trois quart masqué par le dos du conducteur, un éclat jaune qui se précipite vers le tram en grondant. Elle écarquille les yeux face à la masse jaune qui paraît hésiter un instant à continuer dangereusement droit sur elle, au mépris de la douce courbure des rails. A cause du chassis de métal qui est bien plus étroit que la carrosserie de bois,w le tram semble virer à la dernière seconde avec une réticences d'animal mâchonnant rageusement son mors. Il se cabre entre les deux barrières de métal lisses étincellantes et zigzagantes au sol, hachurées par l'ombre des fils métaliques entrecroisés géométriquement à hauteur des premiers étages. Une antenne d'insecte le relie aux arabesques complexes des fils métalliques. Les arabesques et les rails parallèles concordent dans le mouvement mystérieusement rotatif de la manivelle horizontale, dans la tension de l'épaule du conducteur qui fait que sa chemise se plisse légérement avec des rayures d'ombres, en diagonale. "Quoi ?" demande-t-elle par dessus le grondement du tram en train de les croiser. "Je dis", dit le garçon en élevant la voix, "que je ne sais pas à quelle station on doit descendre." "Ah" dit-elle. Et elle cesse de regarder le balancement des poignées de cuir pour baisser les yeux vers le vieux qui dit "excusez-moi", avec lenteur, "puis-je vous aidez ? où désirez-vous aller ?" puis qui ajoute quelque chose mais un grincement recouvre les mots et le menton du vieux tressaute sur ses mains posées sur sa canne, ce qui fait qu'il s'arrête brusquement. Le garçon dit "oh, merci. Nous voulons aller au musée de Arte Antiga" et son sourire se fige un instant en une grimace au moment de prononcer "antiga". "Je pense que c'est dans deux ou trois arrêts" répond le vieux, et l'ombre du tram sautille du caniveau jusqu'au trottoir, "attendez". Il se tourne vers la banquette derrière lui pendant que le fleuve s'encadre entre deux bâtiments et que l'eau scintillante avale son reflet sur la vitre. Un grincement retentit. Les poignées de cuir s'inclinent vers l'arrière. Le vieux parle portugais, rapidement, avec une voix rauque de fumeur, et la torsion de son cou pour regarder vers ses voisins de derrière étire grotesquement sa peau par rides profondes qui se perdent dans le col de sa chemise blanche. La jeune fille regarde la rive de l'autre côté du fleuve, pâlie par la distance, comme un immense animal en train de dormir, comme le sourire du chat de Lewis Carrol qui s'effacerait peu à peu dans une brume bleutée ; et de l'autre côté de la rue la succession des bâtiments modernes aux fenêtres teintés, le reflet du tram tressaute à chaque changement de fenêtre ; et le vieux dit : "c'est le prochain", en regardant le profil fin du visage de la jeune fille, la goutte de sueur qui perle à sa tempe, la torsion de son cou pour regarder derrière elle, ce qui fait qu'elle se cambre un peu et qu'elle avance dans sa direction la vague transparence de son débardeur blanc sous lequel on devine la ligne plus sombre du soutien-gorge. "Vous savez, j'ai vécu à Paris pendant longtemps, la France et le Portugal ont toujours été très proches". Elle tourne la tête, pose ses yeux bleus calmes sur lui et dit "Ah oui ?", et l'ombre du tram sautille depuis le caniveau jusqu'au trottoir. "J'aimais beaucoup Paris, les petites rues du quartier latin, mais je crois que c'est parce qu'elles me rappellaient Lisbonne" "Vous savez", dit-elle, "il n'y a plus beaucoup de pavés à Paris, ils les enlèvent tous." Les poignées de cuir s'inclinent vers l'arrière et un grincement retentit. "Et bien merci beaucoup monsieur", dit le garçon, et il pose la main sur la hanche de la jeune fille en la poussant légérement vers l'arrière du tramway. Elle dit "sim, muito obrigada", avec un sourire lointain, sous ses yeux glissant calmement en direction de la vitre où le reflet du vieux s'efface sur le bleu étincellant du fleuve. Il lui dit "de nada" en secouant légérement sa canne dans sa direction mais elle descend déjà les marches avec sur son épaule la main du garçon, qui hoche la tête de haut en bas en souriant largement en direction du vieux, et l'ombre du tramway sautille avec le grincement du violon de la valse que dansent les poignées de cuir.


Lisboa #1

Les pieds s'abaissent doucement et palpent avec précaution (puisque leurs sens s'aveuglent, éblouis, abasourdis de clameurs, des rayons du soleil) le caoutchouc rugueux et amoli de chaleur de chaque marche, et elles chassent vaguement devant elles, d'un même incertain geste ample, la brutale agression du souffle argenté, réfracté, condensé sur les parois brûlantes, brillantes, plastifiées, lisses, du car, exhalé de la moiteur humide, épaisse du goudron, engorgé là de tout ce qui s'y entrecroise – éclats de lumière réfléchis par les vitres, chuintements des verins luisants gainés d'accordéons de plastique noir, ronflements sourds et réguliers des moteurs, et par-delà : les conversations chantantes par bribes, des sons.


je vais tâcher de trouver une carte dit l'une, et elle s'avance au centre du tournoiement des trajectoires de couleurs et de clameurs (le hall sombre de la gare, les échos soudain répercutés emplissant l'élégante structure d'acier élancée, les cars massifs confondus, la foule grouillante), et elle s'en retourne bredouille, et elles délibèrent autour de deux cigarettes en basant leurs pronostics sur de savantes observations comme : les perceptibles courants organisant la foule, ou comme : la couleur de la veste du type là-bas tu as vu ? ou comme : le logo « M » rouge sur fond blanc, ou encore : on verra bien ; et elles marchent sous le soleil dans la moiteur de leurs sueurs, les gouttes condensées sous les aisselles, retenues par les sourcils, poisseuses au creux de la main crispée autour de la poignée du sac, agglutinées dans les pliures des muscles bandés, absorbées par les tissus pourtant flottants, pourtant légers. Elles suivent l'ombre déchiquetée des arbres. Effectuent des haltes pour boire. S'enquièrent avec force gestes auprès des passants de la conformité de la trajectoire effectivement effectuée avec celle virtuelle élaborée à partir des entrecroisements imprimés des cartes consultées à chaque arrêt de bus (elles-mêmes renvoyant à quelques mots précieux inscrits avec élégance au bas d'une page de papier quadrillée, eux-mêmes renvoyant à une tangible clef et à une moins tangible entrevue déjà assourdie par la brume confuse du souvenir : « tu verras, un immeuble jaune, je ne sais plus l'adresse exacte, c'est au coin de la rue, en face d'une église » avait-elle dit, et j'étais partie en emportant le bout de papier quadrillé où son écriture se mélangeait à la mienne, en serrant le porte-clefs de feutre coloré en forme de fleur – une marguerite – stylisée).

L'espace parce qu'inconnu et immense se promettait aventure. Courage ! Une fois cette bande de soleil passée nous aurons toute cette ligne droit à l'ombre, disait l'une. Et l'autre demandait dans un souffle : nous reste-t-il de l'eau ? Et l'autre lui montrait la bouteille en plastique où la chaleur condensait le liquide qui en opacifiait les parois. Elle secouait la bouteille et la bouteille redevenait un instant transparente, par plaques irrégulières où glissaient des gouttes bleutées. Et elle disait : à peine, nous sommes perdues, avec un ton voulu d'emphase dramatique. Elle ajoutait que la ville semblait hostile et peu civilisée, sans doute dépourvue d'eau courante. Mais l'autre la rassurait : peut-être pas. Après tout, au soleil, la pesanteur est plus forte que le déséquilibre.

Et puis elles marchaient en silence, en écoutant les gouttes de sueur glisser un peu plus à chaque claquement de pas, en rythme avec les tressautement de la valise sur les pavés luisants.

São Paulo #1


Les "orelhões" (qu'on qualifierait en France de cabines téléphoniques si l'espèce n'était pas en voix d'extinction) de São Paulo sont imaginativement décorés. Personnellement, je n'irais pas me glisser là-dedans pour passer un coup de fil, à moins d'avoir quelque chose à expier (j'en choisirais plutôt un avec des petites fleurs ou de sautillants coeurs rouges). Mais c'est celui-ci qui s'est retrouvé en photo, posant devant les buildings de l'avenida Paulista.
Comme dans Pretinha de Seu Jorge, j'ai loupé un rendez-vous quand je suis allée passer quatre jours à São Paulo. Je ne sais pas si ça aurait pu changer le cours de mon existence, mais je ne crois pas, la ville était trop grande pour que je puisse prendre le risque de m'y perdre sentimentalement : il est déjà trop facile de s'y perdre physiquement. Mon genoux a failli disparaître dans les craquements du plancher de la salle de la Casa Jaya où j'ai dansé en rond une danse indigène. Et puis mes habitudes de parisienne ne m'avait pas préparée à une ville dépourvue de carte, fut-elle perpendiculairement organisée - et dont les distances, non plus, ne sont pas les mêmes. S'engager dans une rue revient à y marcher des heures en droite ligne, en tombant parfois au petit bonheur sur un musée de l'image et du son, ou sur une exposition de félines photos de célébrités hollywoodiennes.
Jane Fonda para Willy Rozzi
J'ai aussi vu des Converses pelées comme des oranges [Ana Linnemann].
Des dessins du Corbusier qui proposait, en 1929, d'urbaniser São Paulo en y entrecroisant d'énormes viaducs habitables.
Le parc Ibirapuera dont les jets d'eau s'élèvent à des dizaines de mètres de hauteur.
Des gens, dans le métro, qui faisaient la gueule comme tout citoyen d'une grande métropole.
Un quartier rassemblant exclusivement des concessionnaires automobiles.
Un immense collier en perles de céramiques dégringolant d'un arbre comme le font ici les branches-racines des ceringueiras.
J'ai mangé des pastéis fourrés au palmier et des crêpes de tapioca, bu du jus de canne à sucre, dégusté un açai na tigela.
Je suis allée au mercado central, plus petit mais aux allées plus amples que celui de Belo Horizonte, un peu plus chic aussi, mais toujours rempli de stands entassés les uns à côtés des autres, vendant viande, fromage, haricots, herbes, dans de petits paquets ou de grands sacs de toiles.
J'ai vu la praça da Sé, dans le centre, les myriades de gens qui dormaient sur et sous des bouts de carton, en pleine après-midi, sans écouter un prédicateur amplifié par le truchement d'un groupe électrogène qui déclamait devant la cathédrale.
Je n'ai pas d'impression générale (je n'ai rien vu de São Paulo), si ce n'est le bruit et les voitures, les gens et les distances, la largeur des rues, l'avenida Paulista où il y a encore des petits commerces, un cinéma renfoncé dans un coin parce que la culture semble rare comme les tableaux de l'expo du Caravage. 11 millions d'habitants...


Documentaires

Benno Trautmann
Madman's Dictionary

Animação

Blu
Big Bang Big Boom
Blu fait bien ce que le titre du court-métrage indique. Comme à son habitude : par métamorphoses successives et utilisation de l'espace urbain. Il se joue plus des objets, en les rendant mouvants, que dans Walking ou Muto - un tournant vers encore plus de liberté ? L'espace de la plage, ouvrant vers l'infini, et l'espace, le vrai, qui commence et clôt le court le laisse aussi penser. On n'arrêtera pas la petite idée sautillante comme le dessin sans cesse effacé et recommencé : si la fusée nucléraire de la fin ressemble temps au big-bang du début, nous qui laissons traîner un sac plastique sur une plage, que sommes-nous au fond ? Un dessin gommé sur un mur aussitôt remplacé par un autre ?

Marina Moshkova
In scale (trailer)

Malcolm Sutherland

José Miguel Ribeiro
Viajem a Cabo Verde (trailer / voir aussi le site de la boîte de prod : Sardinha em lata)
A suspeita

Javier Mrad

Peter Candeland

Izabela Plucinska
Marathon

Jan Svankmajer
Food 1: Breakfast

Una Furtiva Lagrima, de Carlo Vogele. Un opéra chanté par Enrico Caruso, interprété par des poissons animés en stop motion. Tout un programme, depuis le marché jusqu'à la poêle à frire...

Les brésiliens avaient un super programme télé dans les années 80, Glub Glub, avec des tonnes de films d'animation géniaux:

Stoppit and Tidyup
Episod 1: Beequiet and Beehave

Pat a Mat (en tchèque, au Brésil ils s'appelaient Zeca e Joca)
La bibliothèque

Ernest le Vampire (Ernesto o Vampiro)
Portraits de famille

Pumuckel (Pumuckl, un allemand)
Le cadeau de Noël

Il y avait aussi le programme Rá-Tim Bum (voir par exemple Máscara pour apprendre à utiliser ses mains, ou A resfrescante sensação, ou A velha a fiar) qui a plus tard donné O castelo Rá-Tim Bum. Ça vaut presque Pas de pitié pour les croissante du Club Dorothée...

Conférences


Daniel Arasse
Interpréter l'art : entre voir et savoir

Pierre Berthomieu
Ernst Lubitsch

Entretiens
Hitchcock-Truffaut

Lisboa 2012


Monstra Festival (animação)
// 21 > 27 de Março // site

Cinema Francês 
// 7 > 16 Outubro // site

Doclisboa
// 14 > 24 Outubro // Cinemateca, Culturgest, Sao Jorge, Londres, City Classic Alvalade // site

Time Passing and Time Passed



One of the most appealing qualities about Segovia’s classical guitar work (not to mention Ana Vidovic or even the rather spiritual Liona Boyd), is the evocation of time passing and time passed, almost expressed simultaneously in a single melody. Mark Kozelek, former chief of the Red House Painters, now in charge of Sun Kil Moon, like Segovia and so many other classical guitarists is just as much obsessed with the progression of time and its dire consequences. In the relative blink of a five to ten minute song, he often gives the impression of time slowing down. Languid tempos, songs awash with electric guitars (often distorted), deeply cinematic string sections, meditative lyrics, sad reminders of love lost and people vanished… Many of them mention places (most often name-checking his beloved San Francisco) as evocations of memories. They depict the desire to be somewhere else (or sometime else) and, when there, the desire to go back. Music for the permanently broken hearted. Timescapes of incurable nostalgia. The Portuguese would probably call it saudade.


Listen, for example, to ‘Void’ from Old Ramon, in which the chorus “Fill the void in me now/Make your love to me girl/Red lights cruising the night, red lights get me home” is repeated for over four minutes until the fade-out behind a backdrop of distorted, slowed-down Neil Young Crazy Horse guitars, creating an immense, epic atmosphere of simultaneous desperation and overpowering, all-consuming desire. Or listen to how in a short song such as ‘Summer Dress’, he not only evokes the atmosphere of a deserted, foggy beach but also manages to achieve a certain transcendence in the brief moment of looking at a lover staring off over the vast ocean: “Says a prayer as she’s kissed by ocean mist / Takes herself to the sand and dreams”. There is nothing extraordinary brilliant about a line like that, but in combination with the sober guitar caresses and the touch of violin shrugging closely besides, the song, highly personal in content, captures the human experience of an intense, powerful memory which in our heads seems to last much longer than it actually did at the time due to its overpowering, overbearing intensity. I am talking about a certain kind of rapture in a secular context and it’s this kind of memory-rapture of a seemingly eternal, yet fleeting moment which returns time and again throughout his work. The song ‘Summer Dress’ itself, just under the three-minute mark, seems to last much longer than it actually does, or maybe it is only because I am thinking about it and have a scene and my own private memory pictured in my head which takes up much more time and space than the song itself. It’s one of his major achievements anyhow.

His latest work, Admiral Fell Promises, published under the Sun Kil Moon moniker to get more press and sales, comprises solely of Mark Kozelek all by his lonesome accompanying himself with a nylon stringed classical guitar. There’s the occasional shaker, multi-layered harmony vocals and where needed, an extra guitar line. Because of that, it does not feel like a bare-bones, acoustic record, but is just as colorful, mysterious and lush as any other Sun Kil Moon record. When it succeeds, it evokes a feeling akin to Andres Segovia’s detailed performances and registers time passing, places and moments wonderfully. When it falters, it is just plain boring, as in the superfluous closer ‘Bay of Skulls’, which is nothing more than a wonderfully complex guitar outro in need of a good song. His playing is very classically inflected, with waltz-like interludes as on ‘Third and Seneca’ or an abrasive cascade of guitars reminiscent of John Williams’ ‘The Cathedral’ on the gloomy ‘Australian Winter’.

I have called Kozelek’s songs timescapes, and album opener ‘Alesund’ is no exception. The title references a city or rather an island which is an official part of Norway, most of all known for its university and Jugendstil-architecture. The chorus consists of a meditative repeating of the name: “Alesund/Alesund”, each time implying a different interpretation as the contradictory verses describe. After a long, patient classical guitar introduction, so vivid I tend to think of Van Morrison’s garden parlor all wet with rain every time I hear it (an image incepted in my brain after reading Rob O'Connor's liner notes to Admiral Fell Promises, he was right on the money in this description), the song starts off with the ironic statement “No this is not my guitar/I’m bringing to a friend” (indicated by Kozelek himself in an interview as a sentence to avoid annoying conversations with curious passengers in the airport) and from there on describes an on-stage experience (or so it seems) while a fan is shouting from the audience, for him an inspiring moment drawing him out of himself: “From the crowd I heard you sing a pretty line/(…) I thought about it long, had you repeat it in my ear/I couldn’t place it though/But loved you being so close”. By the end of the song he ends up in a bar and when offered the stage there, walks away and envelopes himself back in his own aloneness which he was so eager to escape in the first part of the song. His “Wanting to be numb/While I pass the lonely hours” is in high contrast with: “But I turned and walked/Away from all the fun/And back into the black, seaside night/Of Alesund”. The second time he repeats the name Alesund, this time four times, he not only seems to be singing about the beauty of the place but about the simultaneous sadness of leaving, remembering, forgetting and the constant permeating feeling of loneliness experienced while travelling which he constantly procures and simultaneously avoids.

In ‘Church of the Pines’ he focuses on nature (and the revival of it in spring), his own mortality and closing himself off from the world whilst struggling to write a song: “I see the youth passing along/While I unwind, head in a song/And in my bed, I play the guitar/I loosen the strings, till I find the tone/And if it don’t come, then I’ll put it down”. The guitar outro accompanying the song is hesitant, searches for an appropriate pattern or melody and fits the subject matter whereas the chorus I just described, with its stretched out guitar echos and distant shaker, has an ambient, mysterious, almost menacing feeling, following lyrics such as: “A service moves slowly through the hills/Faint sound of the highway/As night sets on the church of the pines/Ending the day they lay down to rest”.

On this album, Mark Kozelek focuses more than ever on his own solitary nature and in many cases, whilst travelling. The title track, ‘Admiral Fell Promises’, an intense love-song, albeit a less interesting one than the preceding ‘You Are My Sun’, references a hotel in Seattle. It has a splendid chorus which is faster-paced than the verses, creating a feeling of being pulled in a strong undertow of guitars and is interesting because it mentions a hotel in the title, ambiguous enough for the listener to understand that the promises described in the verses probably have remained unfulfilled or are broken. ‘Third and Seneca’ and ‘Sam Wong Hotel’ are both hotels, respectively in Seattle and San Francisco. Unlike ‘Admiral Fell Promises’, they both describe a solitary existence and in that, they are also each other’s counterparts: ‘Sam Wong Hotel’ is a declaration of love for San Francisco and its various neighborhoods whilst the narrator focuses on his own solitariness (which is remarkably different from loneliness) and revels in it, disappearing into his own thoughts: “Under long palm trees/On my easy rest/Centered in my gaze/Her pretty yellow dress/Catherine drifts again/Into my mind/Freezing the tide/She visits me still”. The interlude drifts by, languid, lush. Afterwards, the day has passed: “Post card city lights/My mid-evening walks/Down to Portsmouth Square/Past Sam Wong hotel”.

‘Third and Seneca’ contrasts ‘Sam Wong Hotel’ nicely as it picks up the pace with hasty fingerpicking and lyrics about restlessly travelling, constantly away from San Francisco and a relationship which by the end of the song is dissolving due to both a geographical and emotional distance. The chorus consists of nothing more than a summary of cities in the U.S. associated with colors or weather patterns (“Seattle black, Alaska blue/Oregon grey, raincloud Vancouver”), illustrating the repetitiveness and disconnect of travelling. The second verse takes place in a different hotel room and foreshadows an imminent decimation: “In my room at Laurel and Beverley/Your mind blossoms, mine is withering/I retire in your aspiring, your dream chasing/I’m only escaping/Blood orange L.A., blood red Arizona (…) Lifetimes away from your love I know”. The interlude this time is waltzy, drowsy, expressive as it stretches out and slows down before the fingerpicking and melody pick up the song again, this time in a different, higher scale, the relationship seems to have succumbed: “New York, New York, New Haven, Hoboken/The words we shared, dissolved as they’re spoken/All worlds away”.

After ‘Third and Seneca’ comes a definite high point, right in the middle and despite its banal title, ‘You Are My Sun’, it is probably one of the most intriguing, meditative pieces here. The song starts off with Kozelek’s typical fingerpicking and is a simple albeit lovely declaration of love with a strong melody line (“You are the suites of the cellos/There to mend if I bleed/You are a swing/On sleepy porches/The warm light on my face/You are a charge of wild horses”). It’s wonderfully simple and straightforward until the song bursts open when Kozelek starts repeating thick multi-layered vocals, his lover’s name in adoration: “Leona, Leona, Leona…” while underneath the guitar playing contrasts with classical flourishes, creating an incredibly lush opposition. He continues: ”Your fingers breeze/With grace and days/Of gentle waves/Of guitars playing/Leona, Leona, Leona/Descends the stairs/Light as air/Verses sound everywhere/Leona, Leona…”. In repeating her name, he constantly transforms her, calling out for her, yet keeping her also within. His most straight-forward song develops itself with the necessity of a prayer, it admires, adores and loves (reminiscent of ancient cultures adoring the sun), whilst it also describes the internal makings of memory as it happens. The song ends with a playful outro, optimistic and bright. It is easily my favorite song on the album, even more so, since this song captures the long, slow afternoons of summer – characteristic of the days of youth. It is happiness hard-won, well aware of its own transient, elusive nature. In the nearly five minutes of duration, ‘You Are My Sun’ holds on to hours.

I am again reminded of Van Morrison, this time of ‘Come Here My Love’, a fabulous song from his 1974 album Veedon Fleece. The song describes a similar desire, longing for rapture and the rapture itself, time passing rapidly and slowing down during its rational procession. It’s short, no more than 2 minutes and 20 seconds and it needs to be no longer than that:



Come here my love

This feeling has me spellbound

Yet the storyline in paragraphs
Laid down the same

In fathoms of my inner mind
I’m mystified, oh, by this mood
This melancholy feeling
That just don’t do no good

Come here my love
And I will lift my spirits high for you

I’d like to fly away
And spend a day or two
Just contemplating the fields and leaves
And talking about nothing

Just layin’ down in shades of effervescent
Effervescent odors and shades of time and tide
And flowing through
Become enraptured by the sights and sounds
In intrigue of nature’s beauty

Come along with me
And take it all in
Come here my love


As it happens most of the time with Van Morrison, the song has a religious side to it, mentions rapture and nature. It does not mention a specific name, but it is just as much a song of admiration and devotion, in a prayer-like fashion as ‘You Are My Sun’. Admiral Fell Promises, a more patchy work after April and the equally towering, lush achievement of Ghosts of the Great Highway might not be his most memorable piece of work, but at its best, it transforms and evokes the atmosphere and patience inherent to classical guitar music into relatively regular, lyrical song patterns. It explores the time which is left inside certain objects or places long after the person, himself or a lover, has moved on.


This is the case for example in ‘The Leaning Tree’, which begins as the album’s brightest tune and then transforms, glacially shapeshifts into a waltzy, dreamy, repetitive interlude and finishes quietly strummed, bare-boned. It captures reminders left after death, contrasting the vivid dreams of the narrator of a lover passed away with her own loss of life, turning his loss into hers: “Your poise was perfect, that of a statuesque queen/Your beautiful hair/Your ocean blue eyes/That bear the depths of your losses inside”. He begs to be forgiven and forgotten, leading to the ultimate realization that he himself is forgetting or leaving her. In the first part, fast-paced, he describes San Francisco – bay windowpanes and pastel homes along the sea – which he mentions only to say he would leave them behind “to join you in the hills”. In the final part however, he finds himself in these hills, which are deserted and dry: “A leaning tree/Like a dying hand/As we pass the long dead grass/Thirsty in the sun/Memories rest beyond the broken fence/Let their spirits be”, ending with a description of roses: “There they sway/Over the bleach white graves/Sprawled over the hills”. What follows is a magnificent outro, which revisits in a distorted, resigned fashion the melodies and guitar lines that came before, suggesting that the narrator , as he progresses into an evermore uncertain future searching through the rubble of his past, finds himself shaping that future with certain relics found which by no means suffice to bring the person searched for back to him. The song indicates a constant struggle with the landscape (just like ‘Alesund’ or ‘Third and Seneca’ does), from the icy snow pine trees described in the dream section (mirrored in her cold, statuelike apparition), to wanting to leave San Francisco behind for someone that cannot be found anymore, except within himself. Like many songs on the album and indeed, many songs in his oeuvre, it pays gratefully, gracefully tribute to memories and their elusive nature, capturing people loved, lost and regained in song through evocative timescapes.

(Nout)