quarta-feira, 29 de maio de 2013

Variations autour devant l'image (de Didi-Huberman)

En sortant de son cours de théorie de l'histoire de l'art, Vasasky tourna en rond un moment sans savoir que faire, puis il pensa aller faire un tour au Louvre.

Lorsqu'il pénétra dans le musée et commença à nommer les choses dans les tableaux, elles commencèrent à disparaître. Cela l'amusa beaucoup. Il alla voir son reflet dans la vitrine blindée qui masquait la Joconde et dit « Joconde ». Tous les touristes commencèrent à s'éparpiller en piaillant ou à prendre des photos sans flash. Il murmura « visiteurs » mais le mouvement confus continua. De toute façon, il se serait repenti, plus tard, d'avoir fait disparaître des êtres vivants.

Il essaya avec des noms propres : lorsqu'il dit « Saint Sébastien », il ne resta plus que la colonne en ruine et les flèches (qui tombèrent sans bruit). Il essaya avec des objets : lorsqu'il dit « plateau », la tête d'Holopherne rebondit contre le cadre et alla rouler dans un bord. Judith paru lui lancer un regard de reproche. Mais il voulait être plus irrévérencieux que cela. Il parvint à échapper aux gardes qui poussaient les visiteurs vers la sortie, où chacun était fouillé pour vérifier qu'il n'avait pas découpé la Joconde en petits morceaux pour la glisser dans la poche, et penêtra dans la salle du quinzième italien. Il lui fallait une Annonciation.

Il venait de finir de prononcer « Jésus » et la moitié de « perspective » quand un chien policier (auquel son maître avait fait renifler la vitrine blindée) sauta et le mordit à la gorge. Les murs du musées semblèrent se dissoudre par ondulations lentes, il se retrouva dans un tableau de Chirico dont les colonnes disparaîtraient progressivement : il lui sembla que des formes colorées se superposaient les unes aux autres (on aurait dit une composition de Kandinsky, celle avec un rond violet, VII ? VIII ?), que tout était quadrillé (comme un tableau de Klee), et puis tout se mis à bouger trop rapidement, comme un film des premiers temps projeté à vingt-quatre images par seconde, mais en couleur. Le policier posa sa casquette sur le sol du musée et se pencha vers lui d'un air désolé, à l'envers, et les moulures du plafond l'encadrait comme s'il mettait en scène un tableau de Bazelitz. Il ne parvint pas à décrire la dernière image qu'il vit et sur laquelle se fermèrent ses yeux et son monde. Le chien lapait le sang qui avait fait un driping monochrome sur le plancher polis. Il aboya.

(À ce jour, la Joconde et Saint-Sébastien n'a pas été retrouvée, mais il a été fait appel à un restaurateur pour que Judith cesse de jouer au foot avec la tête d'Holopherne. Gabriel ne regarde plus la vierge.)

terça-feira, 23 de abril de 2013

Tournage

Les phalanges creusées des longs doigts maigres se replient sur le lourd tissu opaque du rideau, qui frémit puis s’incurve en ombres drapées ; le personnage écarte le rideau et son visage apparaît, émacié, les traits encore plus accusés dans leur encadrement d’ombre et de lumière ; l’arête du nez rehaussée d’une mince ligne lumineuse surgit d’un triangle sombre avalant les orbites et s’étirant sinueusement jusqu’aux joues ; les limites floues du visage sont mordues irrégulièrement par les ombres portées des ramifications des plantes, dentelures hachées comme des pinacles se découpant sur le bleu uniforme intense du crépuscule pendant que la cathédrale se massifie dans l’ombre, la délicate préciosité des gâbles et des voussures de plus en plus en retrait, noircies, quelques reflets éblouissant encore, accrochés à un vitrail rougi, éclat tremblotant un instant puis s’éteignant brusquement, gris : l’image est en noir et blanc. Le personnage referme délicatement sa main autour de la gâchette d’un arrosoir qu’il soulève avec délicatesse et asperge les feuilles de fines gouttelettes (glissant, accrochant des éclats de lumière blanche). Le personnage soudain esquisse un léger sursaut et ses yeux tressautant sur la droite apparaissent un instant immensément blanc. Il pose l’arrosoir et se tourne, puis s’éloigne, dans l’image toujours limitée à droite par le rideau et striée par le délicat entrecroisement des plantes apparaît un bureau aux minces pieds élancés sur lequel repose un téléphone à l’ancienne (le cadran arrondi qu’il faut faire tourner de l’index et qui chaque fois revient dans le même irrégulier et aigu cliquettement) dont le personnage tient maintenant l’écouteur, écoutant, disant
allo
oui
oui
le cinq mars ?
tâtonnant de la main sur le bureau se saisissant d’un stylo ouvrant
à six heures ?
un carnet de moleskine noir d’où dépassent quelques feuillets feuilletant un instant
très bien
faisant glisser du pouce le capuchon du stylo tombant roulant s’immobilisant au creux de la double page ouverte griffonnant quelque chose sur l’une des pages
c’est noté
faisant tourner le stylo entre ses doigts pour libérer
merci
le pouce et l’index attrapant
au revoir
le capuchon – l’autre main reposant le combiné prenant le capuchon refermant reposant le stylo s’éloignant du bureau, son visage de nouveau accusé d’ombre et de lumière, ses yeux à peine distincts sous l'arcade en saillie du sourcil suivant les gouttelettes d’eau projetées par l’arrosoir, glissant le long des feuilles le long des nervures, délicatement, striant le cadre, accrochant des éclats fugaces de lumière, disparaissant

[coupez !]

Et la pièce ne fut non pas envahie de lumière mais de quelque chose d’aussi visible mais d’aussi plus palpable, quoiqu’immatériel ; un mouvement subit surgit de chaque partie de la pièce ; respirations retenues relâchées ; explosion silencieuse et chaleureuse d’énergies contenues. Aussitôt : ça donnait quoi au son ? – elle est bonne – tu n’as pas eu l’avion ? – si au début, on peut arranger ça – au cadre ? – je veux bien la refaire – ok, on enchaîne ! – [A] ? – oui ? – au jeu ? – c’était bien, un peu moins lent au début si tu peux André, tu sais, regarder moins longtemps les plantes ? – oui – tous en place ! – le rideau ?
Quelqu’un va replacer le rideau en se faufilant entre les pieds des projecteurs et en enjambant les câbles entrelacés (comme ça ? – encore un peu... top ! c’est bon !) ; se faufilant de nouveau dans l’autre sens après avoir refermé replacé (le carnet) (sur le bureau) (le stylo), câbles, projecteurs, entrebâillement noir où s’engouffrer ; derrière par contraste avec tous les éclats de lumières il fait sombre, il est difficile de discerner l’acteur attendant immobile, tête penchée vers le sol, ramassé sur lui-même, de faire son entrée ; l’obscurité encore plus assombrie quand [M] se découpe à son tour dans l’entrebâillement pour se frayer un passage jusqu’à la caméra, tenant le clap d’une main une craie dans l’autre, effaçant du revers de la main un chiffre inscrit à la craie, il dit
tout le monde en place
écrit un chiffre sur l’ardoise met la craie dans sa poche, dit
son demandé
ok
moteur demandé
ok
séquence une premier plan troisième
écartant du clap la baguette inférieure striée noire et blanche la relève vivement puis l’écarte dès que le son sec a retenti ; et de nouveau il évite les projecteurs et les câbles, se découpe dans l’ouverture du rideau, le plancher craque sous ses pas, il s’immobilise dans une position d’acrobate suspendu comme pour combattre la pesanteur, son poids, aérien sur son fil jusqu’au bout [action] de la prise [l’acteur lève la tête et se dirige vers l’échancrure lumineuse du rideau], tous les muscles tendus dans cette [il pénètre dans la pièce on entend] position qu’il ne s’agit plus maintenant de quitter [ses pas sur les carreaux puis] afin de ne pas risquer de produire [le froissement de tissu du rideau écarté] un craquement intempestif ; attentif au moindre bruit : [puis le silence] grondement indistinct des [quelques instants] voitures, criaillement d’un enfant, [brusquement rompu par] grincement [le bruit de l’eau] d’une grille, craquement du plancher, gargouillement des ventres, [projetée, les gouttelettes heurtant les feuilles] respirations retenues [puis cessant] exhalées lèvres à demi ouvertes pour opposer au souffle [un bref frottement] une résistance minimale, tous suspendus au même fil [de tissu, des pas] de silence, attentifs [de nouveau] aux mêmes froissements d’étoffes [une chaise heurtée crissant doucement contre le sol en même] figés comme des statues nimbées de la lueur grisâtre de l’écran. [temps que retentit nettement le tintement du téléphone] [A] fixe intensément [décroché] les images, et la pâleur de son visage [allo] s’assombrit derrière [oui] l’ombre du casque qui [oui] lui couvre les oreilles comme un trait d’encre de chine [un froissement de papier], à ses côtés [le cinq mars] surgissent des visages [à six heures] attentifs comme dans ces films de guerre où [le frottement indistinct et irrégulier du stylo] le noir envahit l’écran au point qu’il n’est plus possible de discerner si le film est ou non en couleur, le son seul, – [très bien] des roucoulements d’oiseaux nocturnes, des cliquètements [c’est noté] d’élytres d’insecte frottées l’une contre l’autre, [merci] des froissements de feuilles, l’écoulement de l’eau – soutenant l’attention [au revoir] du spectateur enfermé dans la même moiteur obscure que [choc et tintement] l’écran, [du récepteur] il croit [reposé] percevoir une reptation, [pas] mais c’est lorsque ses sens surexcités transmettent des impulsions immédiatement [gouttelettes] surinterprétées (là sur la droite ce frottement ce craquement [gouttes] au fond cet éclat de lune occulté par le balancement [silence] d’une feuille est-ce le vent ?) qui dispersent son attention, la rendent sautillante d’un point à un autre, ne faisant plus la distinction immédiate entre le haussement d’épaule du spectateur voisin, le craquement du plancher, le froissement d’étoffe le frissonnement des feuilles et là : au premier plan le visage argenté par la lueur de la lune d’un soldat, mangé par l’ombre du casque qui ne laisse briller que les prunelles et l’éclat carnassier des dents que les lèvres tremblotantes laissent apercevoir par [coupez] saccades.

Mariage Homo #1

"Si je comprend bien, les anti-mariage gay ont peur que les enfants adoptés soient traumatisés par les moqueries des anti-mariage gay ?" (http://enfantsdhomos.tumblr.com/soutien)
« Socialisme, dictature ! »
« Libérez nos camarades ! »
« Première, deuxième, troisième génération, nous sommes tous des enfants d’hétéros ! »
(http://www.rue89.com/2013/04/22/crs-a-barbes-veillee-invalides-les-les-jeunes-cathos-droite-241699)

domingo, 24 de março de 2013

Deux têtes folles (Quine, 1964)


Déjà dans L'adorable Voisine (1958), Richard Quine pratiquait avec humour l'auto-dérision en associant son nom avec la statuette la plus minuscule du générique. Il en profitait aussi pour récupérer le couple Novak/Stewart qui s'aimaient vaporeusement dans l'univers quotidien de Vertigo (1958 idem), histoire d'inverser les choses et de placer dans un univers magique et incroyable des amants enfin palpables.

Quelques années plus tard, Quine ne se joue plus d'un film mais de l'intégralité du système hollywoodien. Il faut dire que la décennie méritait un retour, et qu'entre la fin de l'âge d'or et le renouveau du nouvel Hollywood il y avait à faire. Et puis la Nouvelle Vague française inspirait beaucoup – l'action se situe donc, comme le titre anglais l'indique (Paris When it Sizzles), à Paris.

Audrey Hepburn joue une simple secrétaire, engagée par William Holden pour taper le scénario auquel il est supposé travailler depuis des mois alors qu'il n'a que des feuilles blanches à lui proposer à son arrivée. Mais qu'importe : un peu de persuasion suffit, et sous les yeux émerveillés de la jeune dactylo il ne fait bientôt aucun doute que le garçon et la fille se rencontrent en page quatre, que le premier rebondissement a lieu en page six et le premier baiser en treize. Il suffit de remplir les pages blanches étalées par terre dans un soucis de précision géographique et temporelle.

C'est bien plus drôle qu'un film de la Nouvelle Vague, nous confiera Audrey qui en a tapé d'autres.

Les deux personnages s'attellent donc à la tâche, et de retours rapides en rebondissement, de ratés en propositions loufoques, ils tâchent d'écrire le fameux scénario. Ils s'y mettent en scène, un peu, puis beaucoup. Ça passe par tous les genres hollywoodiens, et Audrey avinée ira jusqu'à proposer d'être poursuivie par un vampire avant de s'échapper en avion... Holden, lui, renonce dès le début à remplir un Paris du quatorze juillet avec des inspecteurs en gabardines, mais il ne rechigne pas à ce que son héros s'aventure sur les plateaux désertés d'un studio français pour y voler les bobines d'un film prêt à sortir. On a donc droit à la traversée de la jungle emplie de bêtes féroces et, censure oblige, à la partie de tric-trac survenant immanquablement au moment où le héros allait se jeter sur le lit avec une héroïne peu vêtue.

Scénario ficelé avec adresse qui s'interroge sur le credo hollywoodien : pour ne citer que Minnelli, « le monde est une scène, et la scène est un monde de divertissement ». Mais si chez Minnelli on est heureux en faisant le clown, chez Quine la réalité quoiqu'animée par la fiction prévaut. Unfaithfully Yours proposait la même chose : passer par la thérapie de la fiction pour reconnaître que la réalité a ses bons côtés. Chez Quine, l'amour prévaut aussi, et basé sur l'illusion il finit par voler de ses propres ailes.  

segunda-feira, 18 de março de 2013

Duel (Spielberg, 1971)


Initialement destiné à la télévision (1971), le premier long-métrage de Spielberg obtiendra le succès et les 15 minutes supplémentaires nécessaires à sa sortie dans les salles obscures (1973). Un script résumé en quelques mots, adapté de la nouvelle éponyme de Richard Matheson dénichée au milieu d'un Playboy, et pourtant Duel tient le spectateur en haleine, Spielberg en profitant déjà pour développer quelques-uns des sujets majeurs de son futur cinéma.

David Mann (Dennis Weaver) (ce même « John Do » cher à Capra, que devient Indiana Jones en chaussant ses lunettes) croit que sa journée va se dérouler comme toutes les autres, et que sa petite voiture rouge le conduira sans histoire à sa destination. Mais le voilà pris en chasse par un truck menaçant, arborant les plaques d'immatriculations de ses précédentes victimes comme autant de marques à la crosse d'un revolver... Le chassé-croisé s'engage, et le camion ahanant sa noire fumée devient un prédateur que la longue focale et les caméra sur trépieds bas n'ont de cesse de rendre plus rapide. Bip-Bip et le coyote, un peu. Et les seventies, c'est sûr, il n'y a qu'à voir le grain de l'image et la façon dont les véhicules collent au décors.

Fidèle à l'adage de Tourneur qui fit La Féline avant lui, Spielberg pour mieux faire sentir le danger ne montrera que les santiags du camionneur, et jamais sont visage. A défaut, celui de David Mann envahit l'écran, de plus en plus déformé par la courte focale à mesure que la menace du camion se précise, et que la bande-son est envahie par sa voix-off paniquée. Pas de bol pour lui, tous les clients du bar où il s'arrête portent des santiags, et le travelling suivra son incertitude et sa détresse (presque) jusqu'à ce qu'il aperçoive le camion démarrant derrière la vitre... Loupé, une fois de plus.

L'affrontement n'aura donc lieu que sur la route : entre la vaillante petite voiture au niveau de laquelle la caméra se place dès le début du film, et le truck mal dissimulé derrière un virage, dont le pare-brise a des marques d'essui-glace en forme d'yeux et un radiateur à dents pointues... Un monstre mécanique auquel fera suite 4 ans plus tard celui, aquatique, des Dents de la mer. D'ailleurs, le cri d'agonie du camion est le même que celui du requin, qui est le même que celui du T-Rex.

David Mann surexcité et enfin vainqueur se découpera en noir sur le soleil couchant, prêt à retourner au néant pro-filmique dont il est issu, c'est-à-dire le noir complet des premières secondes du film, précédant l'ouverture de la porte du garage (La prisonnière du désert avez-vous dit ?). C'est-à-dire aussi à sa vie de tous les jours, celle où sa femme le mène à la baguette, où la radio le lui confirme sarcastiquement, où la moindre mégère prend plaisir à l'enfermer dans le surcadrage de la porte ouverte d'une machine à laver. Cette journée aura au moins appris à David Mann ce que l'on risque à souhaiter que son quotidien soit bouleversé – et ce film aura au moins appris au spectateur ce que Spielberg, avec 15 jours de tournage et une audace rare, pouvait proposer comme premier long-métrage.

sexta-feira, 8 de fevereiro de 2013

Lisboa #3


L'étudiant regarda le tramway s'arrêter, tout en bas, au loin, près du fleuve, la forme jaune, minuscule, immobile dans l'encadrement de deux immeubles gris, et derrière, la ligne irrégulière, hachée, des autres immeubles, et derrière, le fleuve, figé. 

Il posa la main, à plat, sur son livre, pour empêcher le vent d'en feuilleter les pages, et fixa entre ses doigts la reproduction de La chute d'Icare. Le tableau était composé de telle sorte que l'on n'accordait pas d'importance au sujet pourtant annoncé par le titre. Dans le coin inférieur droit, les minuscules jambes d'Icare faisaient jaillir de l'eau une écume pétrifiée : mais le laboureur continuait sa tâche sans détourner les yeux des sillons de son champ, et le cheval aussi était de dos, le postérieur droit arrêté en l'air. 

"Ce geste semble dédaigneux", se dit l'étudiant, et il tourna la page. 

Il continua à lire jusqu'à la fin du chapitre consacré à Brueghel. 

Son attention fut arrêtée par la reproduction de La tour de Babel, parce qu'il ne parvenait pas à comprendre quelle était sa propre place en temps que spectateur. 

Il scruta le tableau, les yeux plissés. Le microscopique fouilli de toits et d'activités humaines qui occupait l'avant-plan et la partie gauche. La mer - ou peut-être un fleuve - calme et plate sur la droite. Le ciel bleu contrastant avec le rouge de la construction. Le nuage qui s'accrochait au sommet de la tour. 

Il ferma le livre, se pencha par-dessus l'accoudoir de sa chaise pour le glisser dans son sac. 

Il tâtonna au fond du sac pour trouver son portefeuille, le saisit, se redressa et le posa sur la table. 

Une jeune fille blonde s'approcha de la barrière. 

Ce mouvement attira l'attention de l'étudiant : il regarda son dos s'immobiliser devant le paysage. "Très friedrichien", se dit-il. "Falaise de craie sur l'île de Rügen. Même si le paysage est un peu trop net, il y a la trouée entre les deux arbres de même qu'au premier plan du tableau, ce qui permet de poursuivre la comparaison. Evidemment, Caspar David Friedrich n'aurait pas choisi de peindre un tel type de fille : en effet, les dreads, même blondes, ne peuvent pas être romantiques, et de plus, cette jeune fille est trop grasse. Elle ne correspond pas au type romantique de la jeune fille soupirant avec langueur après un amour perdu, mangeant peu, et succombant pâle et anorexique. De plus, je crois qu'elle est brune dans le tableau, et elle est assise : elle a ce geste alangui qui suggère qu'elle a fait tomber quelque chose, et l'un des deux hommes s'approche en rampant du bord de la falaise pour regarder en bas. C'est bien évidemment pour inciter le spectateur à entrer à son tour dans l'oeuvre. Cela fait penser à Diderot et à sa critique du salon de 1767, où ses personnages se promènent en réalité dans des tableaux - l'idée n'es pas mauvaise. Je devrais essayer de le lire." 

Il regarda de nouveau la jeune fille qui prenait une photo et s'éloignait jusqu'à disparaître derrière lui. "Je m'en doutais", se dit-il. "Elle est tout à fait vingt-et-unième siècle, descendante de la reproductibilité technique et du trop-plein d'informations. La beauté a portée de main sur l'écran de l'ordinateur, là où elle ne regardera pas plus qu'elle ne sait la regarder maintenant. Quelle pitié." 

Il empila soigneusement, dans un ordre de taille décroissant, les pièces de monnaie qu'il sortait une à une de son portefeuille, 
jusqu'à atteindre le montant exact de sa consommation, et il plaça cette tour au centre de la table. 

Il rangea le portefeuille dans son sac, qu'il ferma précautionneusement, et qu'il mit sur son dos. 

Enfin, il quitta le miradouro 
pour se diriger vers la bibliothèque située à proximité. 

Il y emprunta quelques livres. 

En tendant sa carte à l'employée pour qu'elle régularise l'emprunt, il observa attentivement la chair de son visage où se reflétait la couleur verdâtre de l'écran de l'ordinateur, et il pensa aux tableaux de Lucian Freud, en particulier à Sleeping Head. Mais il y avait du dégoût à retrouver dans la réalité les couleurs parfois si mortifères de Freud. Le visage de l'employée, avec ses replis de chair épais, paraissait laid, ainsi exposé à cette lumière. C'est à cause de cela que 
l'étudiant eut du mal à lui sourire, lorsqu'elle lui rendit sa carte, puis lui tendit les livres, après avoir désactivé la puce électronique faisant sonner l'alarme. 

Il descendit l'escalier de la bibliothèque, en s'arrêtant sur le palier sombre, pour regarder la couverture du livre sur Richard Estes, qu'il s'apprêtait à ranger dans son sac. 

"Quelle précision proprement fascinante", pensa-t-il. "Il parvient vraiment à figer chaque reflet avec une exactitude vertigineuse." Un bruit de pas lui 
fit lever les yeux, et il regarda la personne qui montait l'escalier, en sautant les marches deux 
à deux. Il surprit son coup d'oeil furtif 
et curieux qu'elle jetait en passant au livre qu'il tenait 
serré contre sa poitrine pour lui 
laisser le passage. Il 
rangea le livre dans son 
sac, et finit de descendre l'escalier, en 
pensant qu'il devait maintenant aller 
acheter de l'encre de 
chine. Il décida de prendre la Rua 
da Rosa pour 
voir si le magasin de fournitures situé en haut 
de la rue était 
ouvert.

La rue était vide, elle montait, sa chaussée pavée et luisante encadrée de deux trottoirs étroits et élevés. Plus haut, il y avait un ouvrier en train de choisir soigneusement le pavé qu'il allait utiliser pour combler un trou dans la chaussée. L'étudiant regarda le sac qui dégorgeait les pavés, et les petits coups de marteau délicats de l'homme pour enfoncer le pavé à côté des autres. L'absurdité du travail le frappa : "Il n'aura jamais fini. Même s'il comble ce trou, pendant ce temps, il y aura eu un autre trou ailleurs, et ainsi à l'infini." mais il cessa d'y penser dès que l'homme eut disparu 
derrière lui, parce qu'il devait réfléchir à un devoir à rendre pour l'université. Le magasin était 
fermé. 

Il resta indécis devant la vitrine à regarder à travers la vitre les objets exposés. Les pantins de bois désarticulés étaient inquiétants, parce que l'obscurité les transformaient en ombres 
informes, il fallait regarder attentivement pour comprendre de quoi il s'agissait. L'étudiant pensa à Bacon. Une voiture passa en se réflétant dans la vitre et il 
pensa de nouveau à Estes. Il décida de boire un autre 
café pour 
pouvoir regarder le livre qu'il venait d'
emprunter. Au coin de la Rua 
da Rosa et de la rua Dom 
Pedro V, il faillit tom-
-ber à cause d'un 
homme qui dormait sur 
le trottoir. Il enjamba les 
pieds nus de l'homme au dernier 
moment, et manqua de perdre 
l'équilibre. Les pieds de l'homme étaient 
sales et il lui rappelèrent 
Le Jeune Mendiant de 
Murillo, à cause de la fine couche de poussière grise qui couvre le dessous des pieds du jeune mendiant dans le tableau. Mais l'homme avait l'air vraiment mal 
en point, il dormait avec la tête à même le sol, et son visage était dé-
-formé, parce que la partie gauche de son visage était écrasée contre le sol et repoussait la chair, qui f-
-ormait une bouff-
-issure aut
our 
de 
la 
bo
uch
e. 

"Il a une couleur de peau si étrange, on dirait ce tableau que j'ai vu un jour dans un musée, un corps tout en longueur, je crois même que c'était un cadavre, mais lui, il n'est pas mort, il respire, il a les lèvres qui tremblotent." et il fit quelques pas puis se retourna, et l'homme n'avait pas bougé, "il doit être bourré pour pouvoir dormir comme ça au milieu des passants", se dit-il, il le regarda encore un peu avec attention, puis se détourna et continua à marcher vers le parc où il voulait aller boire un café, il se glissa sous les branches sinueuses d'un cèdre immense, soutenues par une tonelle aux arabesques légères, s'assis doucement, et leva la tête pour suivre des yeux l'entrecroisement labyrinthique des branches à l'écorce rugueuse, l'air semblait plus épais dans l'ombre de l'arbre, peut-être parce qu'il faisait plus sombre, peut-être à cause de l'odeur lourde de résine mouillée, et l'étudiant ferma les yeux, il sentait les écaillures de la peinture du banc sous ses doigts, il gratta un peu et les écaillures s'effritèrent, il sentait maintenant le bois nu et lisse, il l'effleura du bout des doigts, le caressant comme dans un rêve, comme dans un monde d'effluves d'aiguilles humides, d'entrelacs de branches rugueuses, il sentait les branches rugueuses sous ses paumes et il se perdait dans un labyrinthe d'effluves qui s'effritaient en morceaux de peinture, il courait au milieu des morceaux de peinture qui tombaient autour de lui, il trébuchait sur un un bloc de pierre où étaient gravés des pieds sales, et il tombait au ralenti en regardant le bloc de pierre s'effriter, se transformer en une poudre noire, et tout autour de lui devenait noir, et sa tête heurtait quelque chose, il cligna des yeux, regarda l'arbre, se mis debout sur le banc, s'étira et effleura l'écorce d'une branche, sauta du banc, tournoya, saisit son sac, le mis sur son dos, et alla boire un café.

quinta-feira, 10 de janeiro de 2013

Terra de Sombra

Deux versions du film de danse réalisé avec Aline, ma colloc', pour un projet dans le cadre de son cursus (on envisage de changer la musique parce que ni l'une - celle avec de la musique composée par des élèves de l'Unicamp - ni l'autre - Philip Glass - des versions ne nous paraissent satisfaisantes)

http://www.youtube.com/watch?v=Oqfjl_GRVcs
http://www.youtube.com/watch?v=u4P7-1LGQBU