domingo, 24 de março de 2013

Deux têtes folles (Quine, 1964)


Déjà dans L'adorable Voisine (1958), Richard Quine pratiquait avec humour l'auto-dérision en associant son nom avec la statuette la plus minuscule du générique. Il en profitait aussi pour récupérer le couple Novak/Stewart qui s'aimaient vaporeusement dans l'univers quotidien de Vertigo (1958 idem), histoire d'inverser les choses et de placer dans un univers magique et incroyable des amants enfin palpables.

Quelques années plus tard, Quine ne se joue plus d'un film mais de l'intégralité du système hollywoodien. Il faut dire que la décennie méritait un retour, et qu'entre la fin de l'âge d'or et le renouveau du nouvel Hollywood il y avait à faire. Et puis la Nouvelle Vague française inspirait beaucoup – l'action se situe donc, comme le titre anglais l'indique (Paris When it Sizzles), à Paris.

Audrey Hepburn joue une simple secrétaire, engagée par William Holden pour taper le scénario auquel il est supposé travailler depuis des mois alors qu'il n'a que des feuilles blanches à lui proposer à son arrivée. Mais qu'importe : un peu de persuasion suffit, et sous les yeux émerveillés de la jeune dactylo il ne fait bientôt aucun doute que le garçon et la fille se rencontrent en page quatre, que le premier rebondissement a lieu en page six et le premier baiser en treize. Il suffit de remplir les pages blanches étalées par terre dans un soucis de précision géographique et temporelle.

C'est bien plus drôle qu'un film de la Nouvelle Vague, nous confiera Audrey qui en a tapé d'autres.

Les deux personnages s'attellent donc à la tâche, et de retours rapides en rebondissement, de ratés en propositions loufoques, ils tâchent d'écrire le fameux scénario. Ils s'y mettent en scène, un peu, puis beaucoup. Ça passe par tous les genres hollywoodiens, et Audrey avinée ira jusqu'à proposer d'être poursuivie par un vampire avant de s'échapper en avion... Holden, lui, renonce dès le début à remplir un Paris du quatorze juillet avec des inspecteurs en gabardines, mais il ne rechigne pas à ce que son héros s'aventure sur les plateaux désertés d'un studio français pour y voler les bobines d'un film prêt à sortir. On a donc droit à la traversée de la jungle emplie de bêtes féroces et, censure oblige, à la partie de tric-trac survenant immanquablement au moment où le héros allait se jeter sur le lit avec une héroïne peu vêtue.

Scénario ficelé avec adresse qui s'interroge sur le credo hollywoodien : pour ne citer que Minnelli, « le monde est une scène, et la scène est un monde de divertissement ». Mais si chez Minnelli on est heureux en faisant le clown, chez Quine la réalité quoiqu'animée par la fiction prévaut. Unfaithfully Yours proposait la même chose : passer par la thérapie de la fiction pour reconnaître que la réalité a ses bons côtés. Chez Quine, l'amour prévaut aussi, et basé sur l'illusion il finit par voler de ses propres ailes.  

segunda-feira, 18 de março de 2013

Duel (Spielberg, 1971)


Initialement destiné à la télévision (1971), le premier long-métrage de Spielberg obtiendra le succès et les 15 minutes supplémentaires nécessaires à sa sortie dans les salles obscures (1973). Un script résumé en quelques mots, adapté de la nouvelle éponyme de Richard Matheson dénichée au milieu d'un Playboy, et pourtant Duel tient le spectateur en haleine, Spielberg en profitant déjà pour développer quelques-uns des sujets majeurs de son futur cinéma.

David Mann (Dennis Weaver) (ce même « John Do » cher à Capra, que devient Indiana Jones en chaussant ses lunettes) croit que sa journée va se dérouler comme toutes les autres, et que sa petite voiture rouge le conduira sans histoire à sa destination. Mais le voilà pris en chasse par un truck menaçant, arborant les plaques d'immatriculations de ses précédentes victimes comme autant de marques à la crosse d'un revolver... Le chassé-croisé s'engage, et le camion ahanant sa noire fumée devient un prédateur que la longue focale et les caméra sur trépieds bas n'ont de cesse de rendre plus rapide. Bip-Bip et le coyote, un peu. Et les seventies, c'est sûr, il n'y a qu'à voir le grain de l'image et la façon dont les véhicules collent au décors.

Fidèle à l'adage de Tourneur qui fit La Féline avant lui, Spielberg pour mieux faire sentir le danger ne montrera que les santiags du camionneur, et jamais sont visage. A défaut, celui de David Mann envahit l'écran, de plus en plus déformé par la courte focale à mesure que la menace du camion se précise, et que la bande-son est envahie par sa voix-off paniquée. Pas de bol pour lui, tous les clients du bar où il s'arrête portent des santiags, et le travelling suivra son incertitude et sa détresse (presque) jusqu'à ce qu'il aperçoive le camion démarrant derrière la vitre... Loupé, une fois de plus.

L'affrontement n'aura donc lieu que sur la route : entre la vaillante petite voiture au niveau de laquelle la caméra se place dès le début du film, et le truck mal dissimulé derrière un virage, dont le pare-brise a des marques d'essui-glace en forme d'yeux et un radiateur à dents pointues... Un monstre mécanique auquel fera suite 4 ans plus tard celui, aquatique, des Dents de la mer. D'ailleurs, le cri d'agonie du camion est le même que celui du requin, qui est le même que celui du T-Rex.

David Mann surexcité et enfin vainqueur se découpera en noir sur le soleil couchant, prêt à retourner au néant pro-filmique dont il est issu, c'est-à-dire le noir complet des premières secondes du film, précédant l'ouverture de la porte du garage (La prisonnière du désert avez-vous dit ?). C'est-à-dire aussi à sa vie de tous les jours, celle où sa femme le mène à la baguette, où la radio le lui confirme sarcastiquement, où la moindre mégère prend plaisir à l'enfermer dans le surcadrage de la porte ouverte d'une machine à laver. Cette journée aura au moins appris à David Mann ce que l'on risque à souhaiter que son quotidien soit bouleversé – et ce film aura au moins appris au spectateur ce que Spielberg, avec 15 jours de tournage et une audace rare, pouvait proposer comme premier long-métrage.