Depuis
son intervention face caméra au tout début d’Annie
Hall, Allen n’hésite plus à mettre
sa vie en scène dans ses films. Sauf que Manhattan,
comme son titre et ses premiers plans l’indiquent, a aussi pour
personnage la ville bien-aimée du réalisateur. Alors que défilent
des vues de Manhattan magnifiées par le Scope et le noir et blanc,
la voix d’Isaac Davis / Woody Allen se fait entendre :
« Chapitre un. Il adorait New York City. Il l’idéalisait
au-delà de toutes proportions (…) Chapitre un. Il était… aussi
dur et aussi romantique que la ville qu’il aimait. Derrière ses
lunettes à montures d’écailles il y avait le puissant pouvoir
sexuel d’un chat sauvage. (…) New York était sa ville. Et le
serait à jamais. »
Rhapsody
In Blues égraine encore quelques notes
tandis qu’un feu d’artifice illumine la skyline au loin. Malgré
son besoin de paroles, Woody sait aussi faire parler la beauté des
images. Comme à la fin du film, où les derniers mots de la jeune
Mary (Mariel Hemingway), « crois en l’homme », cède la
place à l’imposante cité et à sa plénitude. Allen, à l’époque,
assurait qu’il ne pourrait jamais tourner ailleurs qu’à New
York. Même si on sait qu’il s’est contredit dans ses opus plus
récents, la sincérité de sa démarche à l’époque ne fait aucun
doute.
Isaac Davis,
donc, aime New York à la folie, veut écrire un livre, vient de
plaquer son boulot d’écrivailleur comique, tente de détourner sa
femme (Meryl Streep), qui l’a quitté pour une autre, du projet
d’écrire un bouquin à propos de leur mariage, aime Tracy, à
moins qu’il ne lui préfère Mary Wilke (Diane Keaton), mais Mary,
elle, aime finalement son ami Yale Pollack (Michael Murphy). Petite
plongée au sein de l’univers des intellectuels New Yorkais, qui
savent parler d’art contemporain mais ne sauteraient pas d’un
pont pour sauver un noyé. Allen livre une satire pince-sans-rire qui
fut l'un de ses plus gros succès français, à croire que c'est les
américains qui savent le mieux parler de nous ; à croire (voir la
fin de Hollywood Ending)
que l'on ne
servirait qu'à assurer à Woody le succès au box-office.
Il
faut dire qu'on n'avait jamais vu New York filmée comme cela, dans
des plans larges où les personnages ne sont plus que des
silhouettes, n'existant plus que par leurs voix présentes comme
s'ils étaient au premier plan. Dans des lieux comme Central Park, un
planétarium, le musée Guiggeheim, où les cadres précis et la
lumière minutieuse rassemblent les personnages. La caméra et la
voix d'Allen envahissent l'espace. Lors d'une séquence d'engueulade
avec son ex-femme, l'enjeux sera en partie d’accéder au
hors-champ, comme si laisser le décors vide derrière soi était
encore un moyen d'en rappeler la pérennité au spectateur. La ville
nous survivra.
[originellement publié dans Quartier Libre]
Beau portrait sensible. J'ai aussi écris sur ce film que j'aime passionnément pour son ouverture, à tout les sens du terme :-)
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