Dans le cadre de la rétrospective Pierre Perrault organisée par l'association Balafon, comprenant en outre un colloque international à Belo Horizonte, ses films sous-titrés en portugais ont circulé à travers le Brésil pour arriver à l'espace culturel Casa do Lago d'Unicamp. Une conférence de Michel Marie, enseignant-chercheur rattaché à Paris 3 et venant de terminer un semestre de séminaires à Unicamp, est venu compléter la rétrospective.
J'ai donc eu l'occasion de voir Le règne du jour (1967) avec des sous-titres portugais (dont j'étais la seule à bénéficier malgré la rareté du fait - le spectateur francophone a accès à l'intégralité de l'oeuvre du cinéaste sur le site de l'Office National du Film). Je n'étais pas mécontente d'avoir les sous-titres à dire vrai, vu l'accent des protagonistes, qu'ils soient paysans québécois ou normands...
Pierre Perrault |
Saisir la parole vécue
Dans le cinéma
documentaire, à la différence du cinéma de fiction, la mise en
scène n'est pas organisée à l'avance. Pour Pierre Perrault,
« c'est la vie qui met en scène », non pas le cinéaste.
Ce qui peut apparaître contradictoire, car il lui arrive de créer
des situations de toute pièce – par exemple organiser une pêche
qui n'a pas eu lieu depuis trente ans – mais cela dans le but de
« filmer la parole vécue. » La situation, qu'il s'agisse
de pêche, de chasse, de discussion politique, devient le moyen
d'enregistrer un dialogue spontané. Alors que la fiction reproduit
la vie par le biais de l'imaginaire, le « cinéma du vécu »
enregistre la vie même. Le matériau est la vie, l'instrument le
cinéma direct.
Pour cela, il faut savoir
saisir l'occasion. Souvent le tournage d'un film devient, chez
Perrault, l'occasion d'un autre : lorsqu'il filme Un pays
sans bon sens, l'une des
séquences deviendra Acadie, Acadie ;
le matériau filmé des Montagniers
permettra de réaliser le Pays de la terre sans arbres.
Il faut donc garder une disponibilité entière aux hasards du
tournage. Savoir attendre, c'est métaphoriquement ce qui se retrouve
dans la plupart de ses films : le pêcheur, le chasseur, à
l'égal du cinéaste, mettent en place un dispositif qui permet de
tuer la proie, de capturer l'occasion, de saisir la situation.
Perrault
ne filme jamais des entretiens. Le voyage en France de Le
règne du jour, la construction
de bateaux en bois, la chasse à l'orignal de La bête
lumineuse sont autant
d'occasions de faire naître la parole. Lors du tournage de Pour
la suite du monde, le cinéaste
raconte qu'alors qu'il est dans la cuisine d'Alexis Tremblay, avec
son « sac de questions », arrive le fils de ce dernier :
« au lieu d'obtenir une réponse, ou même deux réponses,
j'enregistre un dialogue qui bien sûr abouti à une controverse. Un
épisode de vie plus qu'un récit. Je ne suis plus dans le passé du
récit, je suis dans le présent de la controverse. Je ne suis pas
encore tout-à-fait dans la parole vécue, mais j'ai déjà un pied
dans l'actualité, dans le présent de la parole. » Les
protagonistes oublient la présence du cinéaste : « Je
viens de découvrir un nouvel état de la parole : le
dialogue. » Dans La bête lumineuse,
le groupe des chasseurs n'est quasiment jamais vu chassant, mais
chacun par contre parle beaucoup, se querelle, se chamaille, se
provoque.
Le
pays, le royaume
L'hypothèse
créatrice qui traverse le cinéma de Perrault est celle du pays, du
royaume. On en trouve la trace jusque dans les titres de ses films
(Un pays sans bon
sens, Un royaume vous attend),
mais ce qui l'intéresse surtout est de trouver des personnages qui
lui permettent de véhiculer cette idée. Dans Un
pays sans bon sens,
un biologiste de Québec, fédéraliste, oppose son point de vue à
un francophone de l'Alberta qui, isolé dans cet état à majorité
anglophone, est convaincu que les francophones doivent avoir un pays
autonome.
Lorsque dans les années 1970 Perrault obtient des subventions de
l'Office National du Film pour faire un documentaire sur un contesté
barrage hydroélectrique (« Baie James »), le projet
prend une toute autre tournure avec le désir du cinéaste de
chercher « quelqu'un avec l'idée de royaume ». « Je
ne filme jamais les gens que je n'aime pas », affirme-t-il, et
visiblement les électriciens et les ingénieurs d'Hydroquébec ne
satisfaisaient pas ses critères. Il rencontre un paysan qui
s'attache à cultiver un morceau du Québec – un morceau du royaume
– et c'est à partir de cette première rencontre que six ans de
tournage mèneront à la réalisation de la série sur l'Abitibi
(quatre films) et sur les Montagniers (deux films). « Le
sentiment de conquête, la recherche du goût du royaume, je l'ai
trouvé chez Maurice Lalancette », comme il le trouvera aussi,
pour le cycle de l'Île-aux-Coudres, chez Alexis Tremblay et Grand
Louis.
Le
temps du montage
Le
cinéaste choisi les protagonistes qu'il filme (même s'il affirme
que ce sont eux qui choisissent), et il filme ensuite longuement :
un an de tournage est nécessaire à Pour
la suite du monde ;
le cycle sur l'Abitibi et sur les Montagniers demandera dix ans au
final. Le montage demande des mois, voire des années, pour passer
d'une centaine d'heures de rush à deux heures de film. Perrault est
convaincu que le montage permet de découvrir la vérité du
tournage, qu'il n'existe qu'une seule façon de monter le film
correctement. Le montage est la révélation du tournage. « Monter,
c'est associer, dégager le contenu en vrac dans le tournage. Je fais
le montage contenu dans le tournage. La vie se met en scène, le
tournage se met en montage, il ne me reste plus qu'à obéir. »
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