Initialement destiné
à la télévision (1971), le premier long-métrage de Spielberg
obtiendra le succès et les 15 minutes supplémentaires nécessaires
à sa sortie dans les salles obscures (1973). Un script résumé en
quelques mots, adapté de la nouvelle éponyme de Richard Matheson
dénichée au milieu d'un Playboy, et pourtant Duel tient
le spectateur en haleine, Spielberg en profitant déjà pour
développer quelques-uns des sujets majeurs de son futur cinéma.
David
Mann (Dennis Weaver) (ce même « John Do » cher
à Capra, que devient Indiana Jones en chaussant ses lunettes) croit
que sa journée va se dérouler comme toutes les autres, et que sa
petite voiture rouge le conduira sans histoire à sa destination.
Mais le voilà pris en chasse par un truck menaçant,
arborant les plaques d'immatriculations de ses précédentes victimes
comme autant de marques à la crosse d'un revolver... Le
chassé-croisé s'engage, et le camion ahanant sa noire fumée
devient un prédateur que la longue focale et les caméra sur
trépieds bas n'ont de cesse de rendre plus rapide. Bip-Bip et le
coyote, un peu. Et les seventies, c'est sûr, il n'y a qu'à voir le
grain de l'image et la façon dont les véhicules collent au décors.
Fidèle
à l'adage de Tourneur qui fit La Féline avant
lui, Spielberg pour mieux faire sentir le danger ne montrera que les
santiags du camionneur, et jamais sont visage. A défaut, celui de
David Mann envahit l'écran, de plus en plus déformé par la courte
focale à mesure que la menace du camion se précise, et que la
bande-son est envahie par sa voix-off paniquée. Pas de bol pour lui,
tous les clients du bar où il s'arrête portent des santiags, et le
travelling suivra son incertitude et sa détresse (presque) jusqu'à
ce qu'il aperçoive le camion démarrant derrière la vitre... Loupé,
une fois de plus.
L'affrontement
n'aura donc lieu que sur la route : entre la vaillante petite voiture
au niveau de laquelle la caméra se place dès le début du film, et
le truck mal dissimulé
derrière un virage, dont le pare-brise a des marques d'essui-glace
en forme d'yeux et un radiateur à dents pointues... Un monstre
mécanique auquel fera suite 4 ans plus tard celui, aquatique, des
Dents de la mer.
D'ailleurs, le cri d'agonie du camion est le même que celui du
requin, qui est le même que celui du T-Rex.
David
Mann surexcité et enfin vainqueur se découpera en noir sur le
soleil couchant, prêt à retourner au néant pro-filmique dont il
est issu, c'est-à-dire le noir complet des premières secondes du
film, précédant l'ouverture de la porte du garage (La
prisonnière du désert
avez-vous dit ?). C'est-à-dire aussi à sa vie de tous les jours,
celle où sa femme le mène à la baguette, où la radio le lui
confirme sarcastiquement, où la moindre mégère prend plaisir à
l'enfermer dans le surcadrage de la porte ouverte d'une machine à
laver. Cette journée aura au moins appris à David Mann ce que l'on
risque à souhaiter que son quotidien soit bouleversé – et ce film
aura au moins appris au spectateur ce que Spielberg, avec 15 jours de
tournage et une audace rare, pouvait proposer comme premier
long-métrage.
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