Le déroulement de la Coupe du Monde a donné lieu à la violation quotidienne d'un grand nombre de libertés et droits fondamentaux au Brésil, avec une intensité qui n'est pas sans rappeler les années sombres de la dictature militaire. Cette violence institutionnalisée dont a fait preuve le gouvernement brésilien, mise en pratique par sa Police Militaire pour garantir la réalisation du Mondial et protéger des intérêts privés, a atteint des proportions alarmantes. Ce texte a pour intention de briser le silence des médias nationaux et internationaux sur le sujet.
Les actions
violentes pratiquées remettent au
goût du jour le débat sur la
démilitarisation de la police au
Brésil, débat qui est pris de plus
en plus au sérieux depuis les
mouvements sociaux de juin 2013.
La Police Militaire qui encadre
les populations civiles au Brésil,
telle qu'elle existe aujourd'hui,
est un produit de la dictature
militaire qui l'utilisait à
l'époque comme principal outil de
répression contre les opposants au
régime. La lutte pour la fin de la
Police Militaire a gagné du
terrain depuis que l'ONU a
recommandé, en 2012, la
démilitarisation de la police
brésilienne afin de garantir un
plus grand respect des droits de
l'homme dans le pays.
Cependant, le
Brésil a rejeté cette proposition,
et la tendance prise par les
récents évènements semble aller
dans une direction exactement
contraire. Pour permettre la
réalisation du Mondial, un grand
nombre d’irrégularités, de
violation de droits de l'homme et
de pratiques
anticonstitutionnelles ont crée un
climat général d'insécurité. Les
lois censées protéger les citoyens
ont été violées ouvertement et
réinterprétées selon des intérêts
privés. De nouvelles lois ont été
crées, dans un État d’exception,
comme la Loi Générale de la Coupe
et les décrets qui la réglemente.
Il n'existe au Brésil plus aucune
sécurité juridique.
Le samedi 12
juillet 2014, à Rio de Janeiro,
à la veille de la finale de la
Coupe du Monde, des dizaines de
personnes, connues par la police
pour leurs opinions politiques,
ont été arrêtées à leur domicile
« préventivement ». En d'autres
termes, ils étaient accusés d'un
crime qu'ils pourraient avoir
l'intention de commettre, sans
aucun autre chef d'accusation. À
l'heure où ce texte est écrit,
ils sont encore en prison dans
l'un des plus grands centre
pénitencier de la ville. Cette
pratique avait déjà eu lieu la
veille de l'ouverture du
Mondial. Il est arrivé que
certains membres de la famille
des « suspects » soient aussi
arrêtés ou violemment menacés.
Depuis
que
la Coupe du Monde a commencé au
Brésil, l'arrestation arbitraire
de personnes sans justificatifs,
suivie de tortures physiques et
psychologiques est devenu un
fait habituel .Les arrestations
de journalistes sont également
devenues banales, s'accompagnant
souvent d'agressions physiques
et d'intimidation ou encore du
vol ou de la destruction de leur
matériel de travail. Le jour de
l'ouverture du Mondial la
journaliste indépendante Karinny
de Maglhães
a été torturée et tabassée
durant plusieurs heures dans un
commissariat de Belo Horizonte,
subissant un harcèlement moral
et sexuel constant. Lors de la
seule manifestation du 13
juillet, jour de la Finale, 15
journalistes ont été blessés par
la police à Rio de Janeiro, dont
certains roués de coup au sol,
sous les rires des policiers.
L'intimidation et l'usage de la
force contre les avocats
accompagnant les manifestations
se sont également banalisés. À São
Paulo, l'avocat Daniel Biral a
été arrêté, passé à tabac et
menacé de mort après avoir
demandé l'identification d'un
policier. À plusieurs reprises,
la
police n'a pas hésité à
fabriquer de fausses preuves
pour condamner des
manifestants, comme dans le
cas de Fabio Hideki, accusé de
transporter des matériaux
explosifs qui ne sont apparus
qu'après son arrivée au
commissariat et non pendant la
première fouille qui s'est
faite devant le public et les
caméras. Des
livres ont été saisis sur des
manifestants, et utilisés comme
preuve car considérés comme
« subversifs », exemple de la
persécution idéologique
pratiquée par la Police
Militaire ainsi que par l'État
brésilien.
La police a usé
fréquemment de gazs lacrymogènes
et flash-balls contre des
rassemblements totalement
pacifiques, comme ça a été à
Porto Alegre ou à Belo
Horizonte, contre des familles
qui occupaient un bâtiment
publique pour exiger de
meilleures conditions de
logement. Il y a eu également
plusieurs cas d'utilisation
d'arme à feu contre les
manifestants, notamment à Rio de
Janeiro, fait qui a été
documenté par les caméras de la
presse indépendante.
L'interdiction
d'accès
à des espaces publiques et la
violation du droit d'aller et
venir sont devenus la norme,
particulièrement aux alentours
des stades ou des lieux de
manifestation. Se sont
reproduits, à plusieurs
reprises, les encerclements
policiers autour de
manifestants, empêchant les
personnes de circuler ou de se
réunir durant de longues
heures, notamment à Belo
Horizonte et Porto Alegre,
violant ouvertement le droit
d'aller et venir et le droit
de manifester, pratique
courante dans les régimes
autoritaires. Le droit de
grève a également été
littéralement réduit en
miettes à São
Paulo, lorsque la police s'est
violemment attaqué aux
employés du métro qui
s'étaient mis en grève à la
veille du Mondial, tandis que
l'entreprise licenciait à
tours de bras les salariés
ayant participé au mouvement,
en guise de punition.
D'énormes contingents de la
Police Militaire ont
systématiquement encerclés,
dans un clair but
d'intimidation, chaque réunion
publique, assemblée de rue ou
événement culturel ouvertement
contraire à l’organisation de
la Coupe du Monde.
N'importe quelle fête populaire
qui ne correspondait pas aux
strictes normes imposées par la
Fifa et le gouvernement ont été
interdits ou même violemment
réprimées, comme par exemple
dans le quartier de Cambuci, à São
Paulo, où des familles qui
faisaient la fête après un match
ont été attaquées par la police
à coup de gaz lacrymogènes et de
tirs de flash-balls, accusés de
« tapage nocturne ». La violence
contre la population sans
domicile fixe s'est cruellement
intensifiée, de nombreuses
arrestations arbitraires ont eu
lieu, souvent basées sur des
critères raciaux. De la même
façon, se sont intensifiés les
contrôles de police basés sur
des critères raciaux, sociaux ou
politiques. Comme on pouvait s'y
attendre, la violence policière
à l'égard des plus pauvres s'est
fortement aggravée. Durant la
seule période du Mondial, au
moins huit jeunes – six d'entre
eux étant mineurs – et un enfant
de trois ans ont été tués par la
Police Militaire, dans la seule
ville de Rio de Janeiro. Toutes
les victimes étaient issus de favelas.
Cette énumération
des faits a pour intention de
donner une idée générale de la
violence générée dans le pays, en
raison de l'organisation du
Mondial, et ne prétend en aucun
cas être exhaustive.
Nous considérons que
cette violence ne traduit pas
uniquement la volonté d'étouffer
toute forme contestation qui aurait
pu gêner le bon déroulement du
Mondial mais qu'elle possède une
portée politique plus profonde.
Cette répression acharnée semble
être une tentative de museler par la
terreur la culture de résistance et
de lutte qui s'est renforcée et
s'est répandue dans le pays depuis
les grands mouvements sociaux de
juin 2013. Dans un pays où,
traditionnellement, la ségrégation
et l'injustice sociale se
reproduisent de génération en
génération par la loi du plus fort,
les tirs et coups portés visent en
réalité à empêcher toute possibilité
de contestation devant l'ordre
établi et les injustices de la
société brésilienne, cherchant par
la même occasion à briser l'espoir
de transformation sociale que cette
possibilité abrite.
Ce texte
a été écrit collectivement, à Belo
Horizonte, le 14 juillet 2014.
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