segunda-feira, 12 de dezembro de 2011

Shame (Steve McQueen, 2011) [eXsitu novembre 2011]

avec Michael Fassbender, Carey Mulligan

Steve McQueen, après le très salué Hunger, sort en salle son deuxième film. Dans Shame, il profite sans retenu du corps de Michael Fassbender : l'acteur y campe Brandon, un trentenaire new-yorkais et... sex-addict. Quand sa soeur Sissy – une Carey Mulligan sortant tout droit de sa vie pas très rose dans Drive de Nicolas Winding Refn – débarque avec son écharpe rouge au milieu de la routine bien roulée des étreintes anonymes et des films de culs, Brandon débande. Dur.



Le spectateur français qui a regardé l'affiche avant d'entrer dans la salle retrouve, dans le premier plan du film, la main immobile de Brandon à moitié masquée par le drap, déposée indécise à la limite du sexe. Le plan en plongée montre un corps offert, mais dont le drap permet de respecter la pudeur. Ainsi, si la caméra accompagne Brandon, c'est comme témoin discret, ne prétendant pas percer un passé qu'il se refuse à dire et qui semble décider de son besoin d'étreintes sans lendemain. Elle veille sur lui avant qu'il n'ouvre les yeux et demeure immobile après qu'il a quitté son lit, en lui laissant le soin d'ouvrir les rideaux pour faire entrer la lumière dans l'image : la honte qu'il laisse derrière lui – le titre vient s'inscrire à l'endroit même où reposait son corps – ne semble apparaître que parce qu'il l'a permis. Observé, Brandon reste maître d'actions qui échappent à l'image ; jugé, il ne l'est que par les autres personnages du film ; enfermé, il ne l'est pas par le cadre, qu'il déborde sans cesse, mais par l'implacable architecture de la ville – qui ne fait que refléter la névrose dans laquelle il se débat.

Car malgré la situation sociale avantageuse où il se trouve (bon boulot, belle gueule, et célibataire de surcroît), Brandon ne semble parvenir ni à s'extraire des trajets répétitifs dictés par le métro, ni des cadres d'aciers et de verre où il évolue quotidiennement. La répétition dicte son comportement : dans la première séquence, c'est à peine s'il est possible de distinguer l'une de l'autre les deux aventures sexuelles, les deux réveils matinaux, les deux écoutes du répondeur sur laquelle se fait entendre la même voix plaintive. Et lorsqu'il voit un couple s'exhiber en levrette à une porte-fenêtre, il s'empresse de répéter l'expérience. Il n'est pas seulement inapte à vivre un présent continu, mais à vivre un présent tout court, puisque de son propre aveux il aurait préféré être musicien dans les années 1960. La musique, d'ailleurs, lorsqu'elle se fait épique pour accompagner un échange de regards avec une femme inconnue dans le métro, contribue encore une fois à le dissocier d'une réalité quotidienne : là où l'image ne montre que la scène triviale d'un homme qui finit par suivre une femme, la musique introduit un caractère héroïque dont l'on ne sait trop s'il faut rire ou pleurer.

L'irruption de la sœur de Brandon, Sissy, vient perturber ce parfait enchaînement de répétition et de détachement du monde. Dans une séquence magistrale, Brandon balance avec rage sa montagne de porno dont l'accumulation est rendue palpable par les plans précipités. La chanson New-York New-York interprétée avec une lenteur mélancolique par Sissy fait venir aux yeux de Brandon une larme que l'on pourrait espérer salvatrice. Mais pour Brandon « les actions comptent, pas les mots », et le long plan où le frère et la sœur discutent, de dos, tandis que dans profondeur de champ l'enfance prend la forme flouté du dessin animé Félix le chat, n'aboutira qu'à une scission plus profonde. Le désir d'auto-destruction du personnage le conduira d'étreintes en étreintes, hétéro, homosexuelles, ou multiples ; la ville d'abord bleu acier tournera au rouge sang des feux rouges et des éclairages de boîtes interlopes. Il court de droite à gauche dans un plan dont la caméra finira par le laisser filer, en restant arrêté au feu rouge ; il court de gauche à droite pour retourner tout de même vers sa sœur. Lorsqu'il s'arrête, c'est auprès des lugubres morceaux de ponton émergeant encore sur le dock où mirent pied à terre les survivants du Titanic : il a encore la tête hors de l'eau, mais tout juste. Pourtant, on ne saura pas si la répétition à la fin du film de la scène inaugurale du métro se finit ou non de la même façon. Incertitude pour le spectateur, mais c'est maintenant à Brandon de choisir.  

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