sábado, 2 de outubro de 2010

I know where I am going (Powell et Pressburger, 1945) [traduction]

Wendy Hiller et Roger Livsey
Photo : Erwin Hillier
Montage : John Seabourne
Avec : Wendy Hiller (Joan Webster), Roger Livsey (Torquill MacNeil), Geore Carney (Mr. Webster), Pamela Brown (Catriona), Walter Hudd (Hunter)... 

This is the curse of Caitriona MacLaine of Erraig on MacNeil of Kiloran... Never shall he leave this Castle a free man. He shall be chained to a woman until the end of his day and he shall die in his chains. 
(Inscription sur la plaque de Ikwig)

Ikwig. On dirait un mot celtique. Une formule incantatoire. C'est seulement l'épithète syncréthique et tendre que les inconditionnels de Powell donnent à un de ses films les plus aimés. A la vérité, la sonorité champêtre de cet acrostiche semble lui-même résumer tout le film, le souffle du vent, le bruit des vagues, la turbulence du vortex, le brouillard opaque qui couvre le paysage et s'accroche aux corps. Dans un mot, comme Borges l'aimait, se condensent tous les sentiments, dans un film se condense tout le cinéma. Comme tant d'histoires fantastiques, l'origine de Ikwig est également presque fantastique, à l'image de presque toutes les oeuvres similaires, sa naissance fut circonstancielle. On connait l'histoire : c'était à la fin de la guerre et Powell et Pressburger se préparaient à filmer ce qui sera une autre oeuvre proche, A Matter of Life and Death, mais ils étaient confrontés à un problème : la pénurie de pellicule couleur (ce qui arriva pour pratiquement toute l'Europe, avec Eisenstein forcé d'utiliser la couleur seulement pour la seconde partie de Ivan Grozny). Puisqu'elle n'arrivait pas, les "Archers" résolurent d'occuper leur temps d'attente avec la prodution d'un autre film en noir et blanc. Emeric suggéra une histoire : "J'ai toujours voulu faire un film sur une fille qui veut aller sur une île. A la fin du voyage elle est si proche qu'elle peut voir clairement les personnes sur l'île, mais une tempête l'empêche d'y arriver, et quand la tempête s'apaise la jeune fille n'a déjà plus la volonté d'aller là-bas, parce que sa vie s'est transformée très vite, de la façon dont se transforme la vie des jeunes filles". "Pourquoi voudrait-elle aller sur l'île ?" demanda Powell. "Nous allons faire le film et le découvrir" répondit Pressburger. En une semaine Emeric écrivait l'histoire, pendant que Powell trouvait une île et découvrait le tourbillon de Corryvreckan où allait se dérouler l'une des séquences capitales du film. Avec le vortex, qui rappelle la lecture de "Une descente dans le Maelstrom" de Poe, avec l'île et les ruines des château, s'éveille la mémoire des légendes : celle du prince de Norvège, Brecan, fou d'amour pour une donzelle de la région et qui pour la conquérir doit affronter l'épreuve des eaux en furie, et survivra grâce à une corde tressé avec les cheveux de jeunes filles fidèles en amour. Emeric ajoutera la malédiction à la légende, en s'inspirant des histoires de Walter Scott. La malédiction de Caitriona qui lie éternellement les amants. Il manquait le titre, que la femme de Powell tira d'une chanson populaire ("I know where I'm going / And I know who goes with me / I kwno whom I love / But the dear knows whom I'll marry / Some day he's back / But I say he's bonny / The fairest of them all / My handsome, winsome Johnny")

Ce qui jusqu'alors n'était pas plus qu'une sorte de divertissement, un travail frivole pour faire passer le temps, se révela peu à peu pour les "Archers" avoir un intérêt transcendant. ikwig leur apparu comme la clôture du travail qu'ils avaient mené à bien durant la guerre. Il s'agissait maintenant de récupérer les vérités fondamentales que le conflit faisait oublier. Powell dit dans sa biographie : "I couldn't see how the love story of Joan Webster could justify its inclusion in the body of ours work, but know I do. We have been at war so long, that we are beginning to forget fundamental truths. It is time they were restated." Et Emeric lui répondit "in his wise, gentle voice". "Kindness rules the world. Not money."

C'est à propos de Ikwig qu'on a coutume de citer une phrase attribué à Powell, mais dont dans son autobiographie il assure ne pas se souvenir : "There's only one wey to say it, and that's the right way", a propos de la réplique de Caitriona (Pamela Brown) à Joan Webster : "Yes, but money isn't everything", que le réalisateur obligea à répéter vingt fois pour trouver la forme qu'il désirait, et qui finit, après vérification, par être exactement celle du premier take. Et les effets spéciaux d'Ikwig comportent une prouesse peu connue jusqu'à ce que Powell la révèle dans ses mémoires : Tover Livesey (Torquill) ne posa jamais les pieds dans les décors naturels où l'action se déroule. L'acteur, qui vint se substituer à celui qui avait été prévu, James Mason, était en scène intéprêtant une pièce à succès, et toutes ses interventions à Ikwig eurent lieux en studio, avec les effets spéciaux et les transparences créant l'illusion dans les plans rapprochés, et un double se substituant à lui pour les plans d'ensemble. Pour conclure cette incursion dans l'anecdotique, il faut ajouter que le rôle de Joan était, pour Powell, réservé à Deborah Kerr, pour laquelle il s'était passionné sur le tournage de Blimp et dont le refus laissa le réalisateur visiblement perturbé. Ne pouvant compter sur Kerr, il se souvint de Wendy Hiller, qui était initialement prévue pour le rôle de Deborah dans Blimp. Ce petit épisode marginal pourra, en fin de compte, être un autre des facteurs qui contriburont au climat de romantisme qui entoure Ikwig, film où apparaît l'une des plus belles déclarations d'amour mise en images. Thelma Schoonmaker, veuve de Powell, raconta, lors de son séjour à Lisbonne, que Martin Scorsese voulant se déclarer à Isabelle Rossellini organisa pour eux deux une projection spéciale de Ikwig. Plus bel hommage à ce modèle de romantisme, par l'un des ultimes romantiques (New-York, New-York ; Age of Innocence), ne pouvait être rendu.

Le voyage de Joan est arrêté par un premier obstacle...
Qui est et vers où va Joan ? Le "je sais où je vais" ne se limite pas à une notion géographique. Dans un générique qui est une beauté d'objectivité et d'efficacité, Powell fait défiler la météoritique ascension de Joan, une femme qui sait ce qu'elle veut et où elle va, et un commentaire ironique sublime tous ses pas depuis bébé. Femme réaliste et décidée, son objectif est maintenant de se marier avec le patron. Quelle d'importance qu'il ait l'âge d'être son père. Il s'agit du triomphe d'une ascension sociale programmée depuis toujours. Comme la carte qui va la guider jusqu'à l'île de Killoran où son futur mari l'attend. Comme l'agenda où s'échelonnent méthodiquement toutes les informations. Objectifs et méthodes que le rêve dans le train amplifie et déforme - premiers symptômes de ce qui surviendra par la suite - à travers les décors d'Alfred Junge (le train miniature se déplaçant dans un paysage qui s'assimile à un corps humain, avec la même fonction érotique qu'Hitchcock donnera à la fin de North by Northwest). A l'arrivée au port, Joan est confrontée à un premier contre-temps : la brume qui empêche la sortie des bateaux pour Killoran. Un autre, encore plus significatif, arrive immédiatement : une bourrasque lui arrache la carte des mains et l'emporte vers la mer. La force de la Nature vient immédiatement imposer le désordre dans la vie organisée de Joan.

A partir de ce moment tout se transforme. Dyonisos saisit les rênes et la raison succombe. La Nature entoure Joan et va remettre en cause toute la planification suivie méticuleusement au long des années, remettre en cause la foi en cette organisation représentée par son futur mari. Finalement le pouvoir a des limites. La Nature confronte sa force indifférente à l'a confiance en soi de Joan. C'est le premier signal. Le second commence à travers la séduction. Pas celle de l'homme, Torquil, qui la convie à rester dans la maison où il va se loger, mais celle de la femme, l'amphytrionne, cette Caitriona sortie des légendes, cette femme en laquelle la Nature se manifeste, fertile et exhubérante, sous l'air viril qu'elle affiche avec ostentation. Elle est quasiment la soeur jumelle de Cathy de Huthering Heights et anticipe, dans l'oeuvre de Powell, la splendide et passionnée Hazel de Gone to Earth. Dans la figure de Caitriona, Joan voit ce que depuis toujours elle réprime : sa féminité. Et une innomable perturbation l'envahit dans la solitude de la chambre où la lumière diffuse donne vie aux reliefs qui ornent le plafond. Et le vent qui s'entend et "se sent", les arbres qui s'inclinent sur son passage, la mer agitée, tout prépare la naissance de la nouvelle Joan à l'amour et au désir. Naissance qui a lieu dans cette splendide et unique séquence du tourbillon vers lequel Torquil et Joan sont emportés quand elle souhaite à tout prix aller rejoindre Killoran. La mer, comme le placenta primitif, ne donna jamais autant cette sensation de vie dans toute l'histoire du cinéma.
Histoire romantique, histoire d'amour ? Oui, tout cela. Mais je crois que Ikwig est, par-dessus tout, l'histoire d'une naissance, une histoire de liberté et d'affirmation suprême de l'instinct sur la raison. Le triomphe de Dyonisos sur Apollon. Powell serait-il l'unique et grand cinéaste Nietzschien ? Ikwig, ce mot et ce film incantatoires, affirme que oui. Les philistins qui le taxèrent de fachisme à propos de Blimp, disent indirectement, la même chose. L'héritage que cette autre Zarathoustra (Scorsese) assume, en est de même un témoignage. C'est à partir de là que le cinéma de Powell serait aujourd'hui si actuel et tellement nécessaire. Par delà la Raison. Par-delà le Bien et le Mal.

Manuel Cintra Ferreira (trad. Piera Simon-Chaix)

Sem comentários:

Enviar um comentário