segunda-feira, 18 de outubro de 2010

Microfilms (19/02/89)

Serge Daney reçoit Jean-Claude Biette


Comment parler d'un film ? La critique de cinéma en 1989

Biette propose de replacer le films dans le déroulement d'une histoire mouvante du cinéma, parce que le film n'est pas un objet fermé, même s'il doit être considéré comme ayant, forcément, des caractéristiques propres. Mais cela pose des problèmes, à cause de la multiplication des films (que voir, comment voir, selon quelle ligne directrice ?) et à cause de la muséification des classiques qui sont érigés en valeurs sûres (pour résister à l'impression de perdre pied), mais qui du coup sont intouchables, incriticables, figés. Biette et Daney défendent l'idée que pour un moment (un plan, une séquence) qui restera, ce qui l'entoure peut être médiocre. 

Biette : Ce qui compte, c'est le rapport entre l'objet tel qu'il apparaît au moment ou il apparaît, et puis l'idée du cinéma sur laquelle il est né, il se fonde. Et cette idée du cinéma, quels rapports elle a avec le cinéma antérieur. Non pas pour avoir une sorte de garantie de qualité, mais parce que le cinéma ne naît pas comme ça de rien. Dans chaque film ou chez chaque auteur - chaque personne qui fait un film, aussi loin que soit sa culture de cinémathèque -, participe quand même d'un mode d'écriture souvent automatique, qui est en fait très très culturelle et que l'on peut complètement déchiffrer comme étape d'une culture cinématographique. Même les gens qui se veulent les plus sauvages ont quand même un mode de fabrication d'un film qui vient d'une digestion des films antérieurs. Donc je pense que ce qui est intéressant dans un film, c'est d'essayer de dégager cette idée du cinéma qui peut être très consciente chez le cinéaste, mais qui peut aussi être très inconsciente, et qu'elle soit consciente ou qu'elle soit inconsciente - elle peut être aussi intéressante dans un cas comme dans l'autre, si cette idée de film on la dégage en même temps que ce qu'est l'objet film tel qu'il apparaît. Bon, c'est peut-être un peu compliqué ce que je dis là, mais je pense qu'il ne faut jamais perdre de vue qu'il y a un mouvement vivant qui est celui du cinéma, et puis il y a le film qui apparaît, et que le film ça n'est jamais un objet fermé. Peut être que de la part du cinéaste il peut désirer de faire un objet clos et fermé, mais quand même il appartient à un mouvement du cinéma. Reste la question, est-ce que c'est encore possible aujourd'hui ? Moi je pense que oui.
Il y a plusieurs difficultés qui s'opposent à cette possibilité de critiquer comme ça.
-> le fait qu'il n'y ait plus de fil directeur qui permette de considérer un mouvement du cinéma (comme pouvait l'avoir les gens de leurs générations, même si c'était fantasmatique)
-> le fait qu'il y a une multiplication des films qu'il est possible de voir. Enormément de films récents, de plus en plus de films anciens. 
-> Les gens, paumés, se tournent vers les films anciens comme des valeurs sûrs, donc ils les muséifient, il y a le développement d'une piété fétichiste des classiques, incriticables, indiscutables. Biette et Daney défendent l'idée que l'on puisse critiquer les classiques, de la même façon qu'ils défendent l'idée que l'on puisse critiquer le film d'un réalisateur contemportain reconnu (il faut sans cesse nuancer !)
Biette : Les gens sont complètement impressionnés par l'idée qu'un chef-d'oeuvre ça doit être parfait, qu'un grand film ça doit être parfait. C'est pas vrai du tout. Il y a quelqu'un qui nous donne un exemple de ça très souvent, c'est Renoir. Et il le disait lui-même : ce qui est important, c'est qu'il y ait des scènes formidables dans un film, et que les scènes formidables et les scènes moins bien, bin tout ça ça fait un tout qui est vivant, et qui donne envie de voir et de revoir le film.
Daney : Contre la conception du produit nickel, ou il n'y a rien à redire. Chez Godard il y a plein de scènes épouvantables, rances, qui ne marchent pas. Mais on oublie complètement les choses pas bien, et on se rappelle des scènes formidables.

***

C'est quoi une idée du cinéma ? Le cinéma et le monde

C'est trouver ce qu'il y a de cinématographique dans le monde. Le monde change, le cinéma aussi, qu'est-ce que le cinéma peut enregistrer ? L'indéchiffrabilité des relations sociales - donc l'invisible, ce qui est invisible à force de visibilité à outrance (média, télé...). Le cinéma devient un moyen de résister à l'opacité du monde, celle qui est cachée par l'apparence qu'il donne de s'offrir sans réserve - alors que les liens entres les choses demeurent obscurs, et le sont même de plus en plus. C'est ça que le cinéma peut explorer. Biette propose le montage, par opposition à la plasticité du plan. Daney rappelle avec que le montage, c'est mettre les choses ensemble : avec quoi mettre le cinéma ?

Biette : C'est quelque chose qui permettrait dans un même mouvement de digérer une idée de la réalité et de trouver le moyen de le redonner à la fois à travers une idée d'ensemble du film, une idée globale du film, une idée prospective du film, que l'on peut avoir quand l'on peut avoir quand on imagine un film, et dans le détail d'une séquence 
Daney : donc ce serait à la fois voir quelque chose, montrer ce que l'on a vu, et faire en sorte que ce qui est montré est montré dans le tableau et dans le détail.
Biette : Oui c'est ça, c'est-à-dire, c'est une manière de digérer la réalité, déjà d'une manière cinématographique.
Daney : On pourrait dire, voir dans la réalité ce qui en réalité est du cinéma. Et comme la réalité change, le cinéma change aussi (...)
Daney : On sait plus très bien donc ce qui dans la vie, dans la société, dans les choses telles qu'elles sont, seraient enregistrables en tant que c'est déjà du cinéma, en tant que ça appelle la caméra et le magnéto
Biette : Pour moi, ça serait la simultanéité des cultures, le caractère de plus en plus indéchiffrable du tissus social, et alors c'est la où ça retrouve violemment le cinéma je trouve, l'invisibilité. Les choses qui sont invisibles. Car il y a de plus en plus de choses qui sont déterminantes pour la vie humaine, et qui relève de l'invisible. De l'invisible par le cinéma, par l'oeil. 
Daney : on pourrait dire que plus les médias et plus la télévision surtout multiplient les signes de visibilités frénétiques et quasiment pornographiques de tout, plus la question de l'invisible - mais pas au sens forcément spiritualiste, mais au sens...
Biette : physique, matériel
Daney : ça ne s'inscrit pas sur la pellicule, ça ne peut que s'induire ou se déduire des jeux des choses visibles, devient ou redevient une question...
Biette : c'est une manière qui pose des limites au cinéma, c'est-à-dire qui pose des questions au cinéma, en tant que quel est le pouvoir du cinéma de montrer ou de ne pas montrer des choses, d'enregistrer ou de ne pas enregistrer des sons, et c'est ce défis que le monde pose au cinéma et à ses capacités d'enregistrement de la réalité matérielle (...)
Daney : il y a aussi un autre mot que l'on pourrait utiliser pour invisible, c'est opacité
Celle des rapport sociaux, à force de ne plus rien vouloir tenir secret, il y a un désir de butter sur quelque chose de mystérieux. D'où le succés de Tarkovski, suppute Daney, mais il lui préfère Moretti
Daney : Mais l'opacité est très étrange puisqu'elle vient du fait que beaucoup plus de choses qu'avant sont visibles. Ou beaucoup plus de choses du monde réel sont dicibles et visibles. Il y a moins de secret, de tabou, de choses comme ça.
Biette : mais le chemin qui mène de l'une à l'autre, lui, est absolument invisible (...) Du fait que la perception du monde est devenue beaucoup plus complexe et beaucoup plus difficile, je pense que ce n'est plus dans un travail sur la plastique ou sur le plan que ça peut se résoudre. C'est peut-êter à la fois avec une mise en rapport des choses qui serait plus subtiles. Disons que j'attend plutôt ça du montage. Je pense que ce qui est important aujourd'huit, c'est la mise en relation de différentes choses dans un film, et que ça relève du montage. Pas du montage au sens de effets de rapidité ou de juxtaposition frénétique qui serait une sorte de métaphore de la vie moderne, pas du tout. Disons qu'en ce moment, un cinéaste qui m'intrigue bcp parce que je pense que l'on peut y apprendre des choses, c'est Eisenstein (...)
J'ai l'impression que c'est quelqu'un qui s'est posé des questions du sens d'un plan par rapport à un autre. Or je pense qu'aujourd'hui, bcp de cinéastes vont dans le sens d'une intensification de l'aspect visuel et plastique des films, et que je crois que ce qui est intéressant à faire mainteannt, c'est à travailler dans le sens de la recherche des effets de sens entre les séquences, entre les plans (...)
Daney : la question de Deleuze elle a toujours été très bien, c'est "avec quoi tu mets ça ? ne me dis pas que tu aimes ça, dis moi avec quoi tu le mets." Et après comment tu fais, et puis est-ce que ça tient le coup (...) C'est le montage qui nous rappellerait que le cinéma s'est tjrs fait avec un très fort sentiment de ses pouvoirs propres, et en même temps avec l'idée qu'il était en dialogue, en phase perpétuelle avec des choses qui n'étaient pas du tout le cinéma, et donc je finirai cette émission avec ce cri que nous partageons : "vive le cinéma impur !" Le problème, c'est avec quoi on le met ?

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