domingo, 31 de outubro de 2010

The Thief Of Bagdad (Powell, 1940) [traduction]


un film de Michael Powell, Ludwig Berger et Tim Whelan
non crédités : Zoltan Korda, Wiliam Cameron Menzies, Alexander Korda

Quand s'épuisent les vœux consentis par le génie de la bouteille, il se sépare de Abu en disant, moqueur : "Les humains sont fragiles et faibles. Quand ils pensent avec leur estomac ils oublient la tête, quand ils pensent avec la tête ils oublient le coeur, et quand ils pensent avec le coeur... Ah !... 
Ah !... Ils oublient tout le reste !" La relation avec The Thief of Bagdad est de cet ordre. Peu importe la nécessité, peu importe la raison. Le film peut être vu avec le coeur, comme les enfants le voient, ou comme l'enfant qui dort dans l'adulte et qui réveillé, réveille la magie. Ce n'est pas possible autrement. Nous ne vaudrions pas plus que les hommes qui ont pétrifié les habitants du pays des légendes, de l'Age d'Or, ceux qui attendent le regard de l'innocence pour revenir à la vie.

Pour fondamentale qu'ait pu être pour le cinéma et stimulante pour chacun d'entre eux la collaboration des "Archers" Powell et Pressburger (et c'est dans leurs travaux en commun que vont se trouver les films les plus cités et les plus admirés) la vision de la forêt risque de ne pas laisser voir l'arbre, c'est-à-dire : Powell seul, dédain aggravé par le fracas commercial et le feu roulant de la critique sur Peeping Tom. Néanmoins s'il y a un film avec lequel The Thief of Bagdad a un lien de sang c'est avec cet hallucinant conte d'innocence et de perversité. On pourrait quasiment dire qu'entre l'un et l'autre il y a un hiatus, une autre carrière, un autre Powell, dont la silhouette seule garde le contour quand elle fut associée à Pressburger. Peeping Tom retourna la carrière de l'autre Powell, de l'homme pour lequel le cinéma représentait avant tout le désir de voir et de montrer plutôt que celui d'exposer (même quand ce sera à travers l'imagination et l'écriture brillante de Pressbuger). Le ciné de Méliès, celui des trucages par excellence, celui où la caméra est reine, soit à travers les effets spéciaux (The Thief of Bagdad, A Matter of Life and Death, le film favori de Powell), soit comme sujet du film même (Peeping Tom). Le cinéma du regard. Ce n'est pas une coincidence, non. Autant The Thief of Bagdad que Peeping Tom ont un oeil comme symbole et comme point de départ, le premier peint sur le navire, le second prenant la place d'un objectif, et les deux nous transportent dans d'autres mondes, comme une machine de projection, à la terre des légendes et au royaume des cauchemars, les deux dans le continent de l'inconscient collectif. Et si dans l'un et l'autre les yeux tiennent la fonction commune de guides, ils sont aussi utilisés comme objets diégétiques pour détourner l'attention, pour tromper le spectateur, c'est le plaisir du magicien. L'oeil peint sert à Powell comme premier des multiples moyens de vision dont le film est empli, mais aussi comme illusion. Powell raconta avec un plaisir évident dans un entretien qu'en concentrant sur lui l'attention, le spectateur ne s'aperçoit pas de l'anachronisme du navire, dont la construction est inconnue à l'époque à laquelle il est censé appartenir.

 
The Thief of Bagdad est vu principalement comme un film de Alexander Korda, fruit de la volonté d'un producteur. C'est certain, mais ne correspond pas entièrement à la vérité. Ce n'est pas un film de producteur comme GWW. Pour maintenir le parallèle avec Selznick, la comparaison la plus évidente serait avec Duel in the Sun, qui en étant un film de producteur laisse transparaître toutes les marques du réalisateur, King Vidor, même si également dans ce cas les responsabilités sont plurielles*. A côté de Powell nous rencontrons les noms de Ludwig Berger et Tim Whelan, mais la responsabilité du premier se résume, selon toutes les sources, au travail de pré-production, et celui du second aux finitions et à la phase américaine. Plus importantes auront été les contributions de Zoltan Korda (toute la séquence de la poursuite de Sabu dans le bazar est sous sa responsabilité) et de Vincent Korda en tant que "production designer", sans parler de William Cameron Menzies, auteur des fabuleux décors, comme il l'avait déjà fait pour la version de Walsh en 1924**. Mais si toutes les séquences dans lesquelles apparaît Conrad Veidt, seul ou avec n'importe quel autre des interprètes (et là où se concentre toute la fascination du film, plus que dans les effets spéciaux), sont de Powell, comme il le déclara. Alors il ne reste aucun doute que The Thief of Bagdad est un film de Powell, ou, tout au moins, pour employer ses propres mots, "un film des frères Korda + Powell".

The Thief of Bagdad est un film sur la magie, le temps et l'amour. Par la magie on peut dire que c'est aussi un film sur le cinéma (comme The Wizard of Oz était une allégorie de Hollywood) : pas seulement dans la parabole de la cité pétrifiée qui revient à la vie à travers le regard de l'innocence (de la même façon l'oeil humain "anime" une série d'images fixes), mais aussi par l'usage des trucages et la présence de Percy Day comme conseiller des effets spéciaux et qui se transforme, comme le réfère Olivier Assayas, en la liaison qui manquait dans l'histoire du ciné, jetant un point depuis les trucages de Méliès (avec lequel Day travailla) jusqu'à Georges Lucas. C'est un film sur le cinéma jusque dans sa construction temporelle. C'est un film sur le temps qui joue admirablement avec le domaine de Chronos. Le Sultan est le Seigneur du Temps, et dans ses jeux il y a la machine qui le mesure. Machine qui, dans les paroles de Jaffar, ne doit pas parvenir au peuple, car celui-ci commencera à s'interroger sur l'usage que les seigneurs donnent au Temps. Le temps diégétique court, rapide, et est en même temps immobile : une nuit condence une série infinie d'événements (prison et fuite de Ahmed, prise du pouvoir par Jaffar, annonce de la mort du prince). Un moment concentre l'éternité : le regard de Ahmed sur la princesse. 
"L'œil qui voit tout"
Dans ce moment le temps s'arrête, ou mieux, se transforme en point de convergence de tous les temps. Et la plus belle déclaration d'amour, dans l'idyllique lagon de la gynécée, prend le temps pour thème ("D'où viens tu ?" "Des confins du temps." "Depuis combien de temps me cherches-tu ?" "Depuis le commencement des temps" "Et maintenant que tu m'as trouvée, combien de temps vas-tu rester ?" "Jusqu'à la fin du temps") Et un instant résume toute la fuite du temps : celui de l'épée qui par trois fois se suspend au-dessus de la tête de Ahmed, tandis qu'Abu vole rapidement, sur le tapis volant, à son secours. Et l' "oeil qui voit tout" n'est pas plus qu'une caméra qui révèle ce que l'on veut voir et aussi ce que l'on craint : à savoir le rôle du temps dans l'oubli : la rose bleue qui en un instant supprime la mémoire, tournant l'amour en oubli. The Thief of Bagdad est un film sur l'amour. L'amour total, possessif, pur et maudit, exclusif et égoïste. Comme l'amour doit être, ou il ne serait pas l'amour***. Cet objet de l'amour a, naturellement, un nom. Elle est à peine une princesse,  image mythique, unique et pluriel. 
June Duprez

Des personnages du film, elle est l'innomable, seulement décrite (Jaffar : "Ses yeux sont comme les jardins de Babylone ; ses sourcils, croissants du Ramadan ; son corps mince comme la lettre Aleph") et adorée****. Celle que nul ne doit regarder sous peine de mort. La "belle endormie" que l'amour ira éveiller. Mais le plus perturbant et impressionnant personnage n'est pas elle, ni son amoureux séraphique, ni le jeune rêveur aventureux, mais Jaffar, le possesseur, le "maudit de l'amour" ("Oubli Ahmed. Il voit de nouveau. Et pour un homme aux yeux ouverts le monde est plein de femmes. Il n'y a que moi qui ait le malédiction de ne voir que toi"), ainsi que sa servante toujours oubliée quand on parle du film, Halima (sa passion pour Jaffar, jamais admise, se révèle dans le harem, en réponse à la question de Ahmed lorqu'elle évoque les hommes qui ne découvrent jamais l'amour qui est à côté d'eux, et qu'au même moment ses yeux se fixent vers le local où Jaffar est caché. Et elle sera aussi la "silver maid" qui à ses ordres tuera le sultan). Les possédés de l'amour, qui pour lui intriguent, pour lui tuent. Et c'est à Jaffar (interprété par ce génial allemand qui fut César et qui fut Orléac, autres maudits et dupes de l'amour : Conrad Veidt) à qui Powell donnent les contours les plus humains. C'est de tous les personnages le seul où l'on sent la pulsation du sang dans les veines, en avant des autres figures idéalisées. 

Conrad Veidt 

En étant un film sur la magie, The Thief of Bagdad est construit autour d'un nombre magique. Trois sont les segments narratifs, de même que l'usage du flash-back qui anticipe celui de The life and Death of Colonel Blimp ; trois sont les chansons thématiques : celle de Jaffar, qui le lie à la mer, et qui le lie aussi à un autre personnage "maudit" : Achab, celle d'Abu et de son rêve d'aller au-delà des mers, ce qui le raproche plus de Jaffar que de son compagnon Ahmed (I want to be a sailor, sailing on the sea), et celle de la princesse - laissant Ahmed exclu. Trois sont les rencontres d'Ahmed et de Jaffar, et trois sont les instruments du pouvoir qu'il conseille la première fois qu'on les voit ensemble (le fouet, le joug et l'épée), trois sont aussi les tentatives de Jaffar pour conquérir la princesse, par la tromperie, par l'hypnose, par l'oubli. Trois sont les invocations de Ahmed à la princesse, et les réponses qu'elle lui donne. Trois est le nombre de leurs rencontres. Trois sont les désirs que le génie concède à Abu et les considérations sur les humains lorsqu'il lui dit adieu. Trois sont les obstacles qu'Abu doit vaincre dans le Temple de Alvorada (les gardes, l'araignée et le poulpe), et trois sont les instruments de la justice dont il use : l' "oeil" qui indique le chemin, le tapis qui transporte, et la flèche qui exécute. Trois, finalement, sont les formes ailées : le cheval, le génie et le tapis.

Sous un symbole magique, un film de magie. A l'ombre de l'amour, un film sur l'amour. The Thief of Bagdad est un film pour aimer. Aujourd'hui. Demain. And all tomorrows

Manuel Cintra Ferreira
(trad. Piera Simon)


* et comment ! cf. Pierre Berthomieu, Le temps des géants, où il doit bien quelque part développer sa théorie des multiples réalisateurs qui se sont succédés en ayant chacun laissé leur "touch", depuis - si je me souviens bien - Sternberg pour les jambes du début, jusqu'à Dieterle quelque part, mais la fin flamboyante est sans conteste de Vidor, et l'unité de l'ensemble dû à la poigne de fer de Selznick est aux dessins de Menzies
** où WC Menzies est crédité pour le production design et la art direction. On trouve Mitchell Leisen aux costumes et William Nolan au montage, lequel a l'air d'avoir joyeusement bossé dans le CM d'animation d'après IMDB...
*** oui, enfin, ça peut poser des problèmes aussi. A ce sujet, Fassbinder a fait des films, mais d'autres se sont entretués. 
**** Cf. La princesse de Clèves : "la blancheur de son teint et ses cheveux blonds lui donnaient un éclat que l'on n'a jamais vu qu'à elle ; tous ses traits étaient réguliers, et son visage et sa personnes étaient pleins de grâce et de charmes" (comment tout dire en ne disant rien)

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